Théophile GAUTIER (1811-1872) (Recueil : La comédie de la mort) - Ne me sois pas marâtre, ô nature chérie
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Théophile GAUTIER (1811-1872) (Recueil : La comédie de la mort) - Ne me sois pas marâtre, ô nature chérie Ne me sois pas marâtre, ô nature chérie, Redonne un peu de sève à la plante flétrie Qui ne veut pas mourir ; Les torrents de mes yeux ont noyé sous leur pluie Son bouton tout rongé que nul soleil n'essuie Et qui ne peut s'ouvrir. Air vierge, air de cristal, eau, principe du monde, Terre qui nourris tout, et toi, flamme féconde, Rayon de l'oeil de Dieu, Ne laissez pas mourir, vous qui donnez la vie, La pauvre fleur qui penche et qui n'a d'autre envie Que de fleurir un peu ! Étoiles, qui d'en haut voyez valser les mondes, Faites pleuvoir sur moi, de vos paupières blondes, Vos pleurs de diamant ; Lune, lis de la nuit, fleur du divin parterre, Verse-moi tes rayons, ô blanche solitaire, Du fond du firmament ! Oeil ouvert sans repos au milieu de l'espace, Perce, soleil puissant, ce nuage qui passe ! Que je te voie encor, Aigles, vous qui fouettez le ciel à grands coups d'ailes, Griffons au vol de feu, rapides hirondelles, Prêtez-moi votre essor ! Vents, qui prenez aux fleurs leurs âmes parfumées Et les aveux d'amour aux bouches bien-aimées ; Air sauvage des monts, Encor tout imprégné des senteurs du mélèze, Brise de l'océan où l'on respire à l'aise, Emplissez mes poumons ! Avril, pour m'y coucher, m'a fait un tapis d'herbe ; Le lilas sur mon front s'épanouit en gerbe, Nous sommes au printemps. Prenez-moi dans vos bras, doux rêves du poëte, Entre vos seins polis posez ma pauvre tête Et bercez-moi longtemps. Loin de moi, cauchemars, spectres des nuits ! Les roses, Les femmes, les chansons, toutes les belles choses Et tous les beaux amours, Voilà ce qu'il me faut. Salut, ô muse antique, Muse au frais laurier vert, à la blanche tunique, Plus jeune tous les jours ! Brune aux yeux de lotus, blonde à paupière noire, Ô grecque de Milet, sur l'escabeau d'ivoire Pose tes beaux pieds nus, Que d'un nectar vermeil la coupe se couronne ! Je bois à ta beauté d'abord, blanche Théone, Puis aux dieux inconnus. Ta gorge est plus lascive et plus souple que l'onde ; Le lait n'est pas si pur et la pomme est moins ronde, Allons, un beau baiser ! Hâtons-nous, hâtons-nous ! Notre vie, ô Théone, Est un cheval ailé que le temps éperonne ; Hâtons-nous d'en user. Chantons Io, péan ! ... mais quelle est cette femme Si pâle sous son voile ? Ah ! C'est toi, vieille infâme ! Je vois ton crâne ras, Je vois tes grands yeux creux, prostituée immonde, Courtisane éternelle environnant le monde Avec tes maigres bras !
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