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Commentez, en vous appuyant sur le texte des « Pensées », cette réflexion de Chateaubriand : « Les sentiments de Pascal sont remarquables surtout par la profondeur de leur tristesse et par je ne sais quelle immensité. » ?

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Pris entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, l'homme ne saurait en appréhender qu'une part infime, et son attitude, selon Pascal, sera modifiée par cette idée : « Je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption ». Voilà donc qu'une nouvelle issue se ferme en face de notre désespoir. Du moins reste-t-il à l'homme la conscience de sa misère, et c'est bien en cela que consiste la dignité de sa pensée. Il cherchera à expliquer cette misère, à tirer des conclusions. Peut-être la réflexion philosophique, la méditation du sage, constitueraient-elles une raison de vivre acceptable ? Mais Pascal condamne impitoyablement les doctrines philosophiques, soulignant leurs contradictions internes : qu'il s'agisse du scepticisme ou du stoïcisme, elles rendent compte d'un seul aspect de l'être, et mutilent la réalité. Aucune ne fournit une explication satisfaisante. Pascal a désormais coupé tous les ponts derrière son lecteur : une seule voie reste ouverte, la religion. Et il est vrai que les Pensées expriment dans ce domaine la joie profonde donnée par la certitude. Mais le chemin qui y mène n'est pas sans épines : le libertin doit d'abord admettre la notion humiliante du péché originel qui fait de lui, sans responsabilité apparente, un « roi déchu ».

« INTRODUCTION Les philosophes du XV IIIe siècle réagirent parfois violemment contre Pascal.

V oltaire réfuta ses thèses, et le présenta comme un ennemi du bonheur humain.

On ne songe plus guère aujourd'hui à lui adresser ce reproche : depuis le Romantisme, les lecteurs apprécient davantage le pessimisme des Pensées, et beaucoup pourraient prendre à leur compte cette remarque de C hateaubriand dans le Génie du C hristianisme : « Les sentiments de Pascal sont remarquables surtout par la profondeur de leur tristesse et par je ne sais quelle immensité ».

Quelque limité que soit ce point de vue, il se justifie par les couleurs sombres dont Pascal peint la société, l'homme lui-même et son destin. I.

LA SOCIÉTÉ HUMAINE Sujet d'un roi glorieux, vivant dans une société brillante, le lecteur des Pensées pouvait se croire, au xvne siècle, quelques raisons d'être satisfait, mais de nombreuses réflexions de Pascal vont lui ôter ses illusions. Dans cette société fortement hiérarchisée, certaines fonctions sont entourées de respect.

Mais, précurseur en cela de La Bruyère, P ascal dénonce avec férocité la comédie mensongère sur laquelle repose cet édifice.

Il conduit sous nos yeux au sermon un grave magistrat, dont l'attitude prête plus à rire que le malheureux prédicateur, cause innocente de son hilarité.

Il évoque les « déguisements » des juges, « leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s'emmaillotent en chats fourrés », pour s'établir « par grimace ».

La référence à Rabelais n'est pas vaine ici ; sous cette pâture donnée à l'imagination, Pascal souligne l'hypocrisie fondamentale : « S'ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés ».

Qu'attendre de toute cette fausse science ? « L'appareil auguste » des juges masque l'inaptitude de l'homme à créer une société juste.

Les Pensées sur ce plan reprennent nombre des observations des Essais.

Si l'on examine les divers États, qu'ils se succèdent dans le temps ou voisinent dans l'espace, on est frappé par le caractère contradictoire de leurs lois.

Elles ont pour garants les « fantaisies et les caprices » de quelques-uns, et sont accréditées par la toute-puissante coutume. Que maintiennent-elles ? Des usages absurdes, comme celui « de choisir, pour gouverner un État, le premier fils d'une reine » ; des principes fondamentaux auxquels Pascal s'attaque hardiment, tel celui de la propriété, « usurpation de toute la terre ». Les conséquences sont tragiques : dans ce monde irrationnel, les guerres font rage, justifiant tous les crimes par le jeu des frontières, car, « ne pouvant trouver le juste, on a trouvé le fort ».

L'objet des Pensées n'est pas la peinture de la société.

Les remarques qui la concernent sont éparses, mais elles en donnent une image poignante, à laquelle les convulsions du XXe siècle accordent une force accrue. II.

L'INDIVIDU Du moins l'homme pourrait-il garder l'espoir d'une amélioration : pour Pascal il n'en est pas question.

L'homme porte en lui trop d'imperfections pour réformer le monde ou pour se réformer lui-même. Les écrivains du XV IIIe siècle chercheront à lui rendre la puissance de sa raison.

Pascal dans ce domaine est résolument pessimiste : victimes des « puissances trompeuses », nous sommes incapables d'atteindre la vérité.

L'imagination « maîtresse d'erreur et de fausseté » trompe nos sens, dupe notre jugement en transformant nos sentiments.

L'amour-propre fait de nous les victimes des flatteurs, nous contraint au mensonge, nous interdit tout désintéressement.

La coutume remplace en nous la nature, et les affections que nous croyons les plus spontanées sont artificielles.

La maladie, les passions, les souvenirs règnent aussi sur nous : « P laisante raison qu'un vent manie, et à tout sens.

» C e sombre tableau semble pourtant présenter une lueur d'espoir, que nous ne trouverions guère chez Montaigne ou chez La Rochefoucauld.

L'homme est « un roseau pensant », et toute sa « dignité consiste en la pensée ».

V ain espoir encore : la seule pensée juste qu'il puisse entretenir est celle de son néant. Et lorsque, dans la solitude, il y songera, lorsqu'il se représentera son impuissance à raisonner, l'essentielle contradiction de sa nature, « incontinent, il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir ».

V oilà évoqués par avance le spleen douloureux de Baudelaire, la nausée de Sartre, fruits d'une amère prise de conscience.

Mais pour Pascal, toute la grandeur de l'homme est dans cette prise de conscience et dans l'occasion qu'elle lui donne de chercher, auprès de Dieu, un suprême recours. Le divertissement Aussi Pascal considère-t-il que l'homme trahit sa mission lorsqu'il se détourne de sa propre image.

Montaigne au moins nous laissait une arme: la culture, le voyage, le goût du bonheur quotidien étaient de sûrs remèdes contre le désespoir.

Pascal dénonce ce « divertissement » incessant, qui nous détourne de nous, de notre misère, alors que « cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d'en sortir ».

Dans ces perspectives, tout ce à quoi nous sommes attachés, toutes les petites passions autour desquelles nous organisons nos vies, tout est vain.

Pascal souligne ainsi le caractère illusoire du bonheur humain : cette attitude répond à un doute qui s'enracine au coeur de chacun, donnant à certaines heures, comblées en apparence, une secrète amertume.

C hateaubriand, toujours désenchanté, se devait d'y être plus sensible qu'aucun autre. III.

LE DESTIN A u terme de cette étude de la société et de l'homme lui-même, P ascal ne laisse plus guère d'espoir à son lecteur, et le bonheur semble impossible. Pourtant, une réaction s'est dessinée au xvin0 siècle contre cette thèse, et s'est confirmée à la fin du XIXe siècle : la science progresse malgré les imperfections humaines, la connaissance peut donner à l'homme une mission cosmique. Cet espoir, qui semble se réaliser de nos jours, est détruit d'avance par P ascal : savant lui-même, il affirme la vanité de toute science, et dans un texte fameux, ouvre au lecteur des perspectives vertigineuses.

Pris entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, l'homme ne saurait en appréhender qu'une part infime, et son attitude, selon Pascal, sera modifiée par cette idée : « Je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption ».

Voilà donc qu'une nouvelle issue se ferme en face de notre désespoir. Du moins reste-t-il à l'homme la conscience de sa misère, et c'est bien en cela que consiste la dignité de sa pensée.

Il cherchera à expliquer cette misère, à tirer des conclusions.

Peut-être la réflexion philosophique, la méditation du sage, constitueraient-elles une raison de vivre acceptable ? Mais P ascal condamne impitoyablement les doctrines philosophiques, soulignant leurs contradictions internes : qu'il s'agisse du scepticisme ou du stoïcisme, elles rendent compte d'un seul aspect de l'être, et mutilent la réalité.

A ucune ne fournit une explication satisfaisante.

Pascal a désormais coupé tous les ponts derrière son lecteur : une seule voie reste ouverte, la religion. Et il est vrai que les Pensées expriment dans ce domaine la joie profonde donnée par la certitude.

Mais le chemin qui y mène n'est pas sans épines : le libertin doit d'abord admettre la notion humiliante du péché originel qui fait de lui, sans responsabilité apparente, un « roi déchu ».

Puis il lui faut acquérir la foi : l'adhésion de son esprit est entraînée par un calcul de joueur, il n'a pas le choix, il doit « parier que Dieu est » ; l'adhésion de son coeur est acquise s'il « plie la machine » : « Il faut que l'extérieur soit joint à l'intérieur pour obtenir de Dieu ; c'est-à-dire que l'on se mette à genoux, prie des lèvres, etc..

».

Du moins peut-on espérer qu'après cette abdication de toute fierté l'homme atteindra la sérénité.

En fait, Dieu, sensible à son coeur, lui restera caché, cette obscurité étant elle-même une épreuve supplémentaire : « Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d'obscurité pour les humilier.

Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

» CONCLUSION C ette idée même de damnation est constamment présente dans les Pensées : P ascal semble songer au gouffre qui menace le libertin, lorsqu'il cherche par tous les moyens à l'entraîner hors de sa vie coutumière ; dépouillé de sa confiance dans l'organisation qui l'entoure, de sa confiance en lui-même, le lecteur se voit mener vers « la porte étroite », celle des élus peut-être.

Il est vrai que la vertu est douce en elle-même : « Je vous dis, s'écrie P ascal, que vous y gagnerez » ; il est vrai que l'extase donne d'éblouissantes certitudes ; mais les Pensées nous imposent trop de renoncements pour que nous ne soyons frappés, comme Chateaubriand, par leur austère intransigeance.. »

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