Vous expliquerez cette pensée de Jean Rostand en l'appliquant à l'oeuvre de Ronsard et de Du Bellay : « Dans le domaine spirituel, parmi les oeuvres qui durent, il en est qui demeurent vivantes et pleines de suc, tandis que d'autres ne subsistent que comme de beaux fossiles caractéristiques d'une époque. » ?
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«
Vous expliquerez cette pensée de Jean Rostand en l'appliquant à l'œuvre de Ronsard et de Du Bellay : « Dans le domaine spirituel, parmi
les œuvres qui durent, il en est qui demeurent vivantes et pleines de suc, tandis que d'autres ne subsistent que comme de beaux fossiles
caractéristiques d'une époque.
»
Introduction : A la fois biologiste et écrivain, Jean Rostand a établi un savoureux parallèle entre le domaine scientifique et le domaine
littéraire.
Ainsi compare-t-il le sort des œuvres littéraires à celui des corps organiques : tandis que certaines pages « demeurent vivantes »
et « pleines de suc », d'autres « ne subsistent que comme de beaux fossiles caractéristiques d'une époque ».
Pour quelles raisons et dans
quelle mesure, ce jugement peut-il s'appliquer à l'œuvre aussi riche que complexe d'un Ronsard et d'un Du Bellay ?
De la théorie à la pratique.
En réaction contre Thomas Sibilet qui proposait comme modèle l'école marotique, les élèves de Dorât codifient et mettent en pratique des
principes nouveaux.
Or ces principes, comme au siècle suivant les règles classiques, vont parfois gêner ces poètes authentiques.
I.
De la théorie à la pratique
1.
Une conception rigoriste.
Bien que Ronsard et Du Bellay accordent un rôle primordial à l'inspiration, ils lui coupent paradoxalement les
ailes :
* par un contrôle permanent de leurs œuvres (jusqu'à sa mort, Ronsard remanie ses poésies) ;
* par une versification laborieuse qui annonce déjà les rigueurs de l'Art Poétique (rime riche pour l'oreille, refus des rimes équivoquées et
de la rime simple avec son composé) ;
* par le respect des genres et la condamnation des petits poèmes hérités du Moyen Age « qui corrompent le goût de notre langue ».
Toutefois, cette autodiscipline est souvent enrichissante et ne nuira pas aux deux maîtres de la Pléiade autant que la théorie de
l'imitation.
2.
L'imitation.
C'est pour Du Bellay et Ronsard la grande règle de la poésie :
- imitation des Anciens, d'abord comme l'avaient fait les Italiens, et par contrecoup :
- imitation de la poésie italienne.
Or, ce procédé conduit parfois à une impasse et l'imitation se confondra souvent avec la traduction pure et simple.
Transition : Paradoxalement, ces poètes et théoriciens qui se proposaient « d'illustrer » et de « défendre » la langue française ont été les
victimes de leurs propres armes ; et, malgré une rare dextérité, une partie de leurs écrits paraissent froids et impersonnels.
II.
Les beaux fossiles caractéristiques d'une époque.
Ils sont nombreux et de plusieurs sortes.
1.
Des témoignages littéraires.
En dépit de leurs erreurs et de leurs excès, Ronsard et Du Bellay marquent un pas décisif dans l'histoire
littéraire.
Aussi est-il bon de se pencher sur ces œuvres pour comprendre les bouleversements opérés dans l'essence même de la langue
et de la poésie française.
Ainsi, les Odes Pindariques de Ronsard, trop formelles et grandiloquentes, ouvriront pourtant la voie aux formes
les plus élevées du lyrisme national.
De la même façon, les Sonnets pétrarquistes (l'Olive) de Du Bellay, souvent artificiels, alimentent le
courant précieux de notre littérature.
2.
Des témoignages historiques.
Malgré certains artifices, les Odes imitées d'Horace font éclater la joie de vivre de Ronsard, qui caractérise
le courant humaniste : les paradis de l'esprit n'excluent pas ceux du corps.
— Quant à Du Bellay, plusieurs de ses poèmes, et en particulier le long Discours au roi sur le fait des quatre états du royaume de France,
rappellent ses efforts (qui seront ceux de tous les poètes de cette époque) pour obtenir la faveur d'une pension ou d'une charge.
Transition: Mais poètes de génie, Ronsard et Du Bellay ne sont pas cantonnés dans ces travaux d'écolier studieux.
Leur nature
voluptueuse et mélancolique a su s'exprimer en des vers sincères qui ont le pouvoir d'éveiller en nous une émotion toujours renouvelée.
III.
Les œuvres vivantes.
Ronsard, marqué très jeune par la mort (mort du Dauphin François, mort de Madeleine de France, enfin mort de Marie) et touché toute sa
vie par l'amour ; Du Bellay en proie au mal du pays exprimeront leurs souffrances en une forme lyrique presque moderne.
1.
Le tendre Ronsard.
Après Marot et sur une note plus émue, Ronsard s'abandonne à des confidences sur lui-même, sur sa vie, sur ses
goûts (cf.
Les épîtres familières qu'il appelle Elégies ou Discours).
Ses Discours à forme oratoire font songer, avec trois siècles d'avance, à ceux de Lamartine ou de Hugo.
Enfin il exprime, en des vers purement lyriques (sonnets, odes, élégies), sur un mode tantôt tendre et tantôt passionné, les émotions
profondes que ses amours (Cassandre, Marie, Hélène) lui ont fait ressentir.
2.
Du Bellay et la solitude.
C'est le voyage à Rome avec les espoirs déçus qui va arracher à Du Bellay les accents de la poésie personnelle
et sincère :
* soit qu'il exprime sa nostalgie de la terre natale (France, mère des arts..., Heureux qui comme Ulysse...) ;
* soit qu'il confie à ses vers (qui jouent le rôle d'un journal intime) son découragement (Las ! où est maintenant ce mépris de fortune ?) ;
* soit encore qu'il croque le portrait satirique des courtisans romains (Marcher d'un grave pas et d'un grave souci...) et des courtisans
français (ces vieux singes de cour qui ne savent rien faire...).
Conclusion : Une œuvre aussi complexe autorise tous les jugements et, replacés dans leur contexte historique, l'on peut aussi bien
comprendre les fureurs de Malherbe et de Boileau que les éloges des Romantiques et des Parnassiens.
En fait, les « beaux fossiles » ont
souvent servi à alimenter de leur « suc» les œuvres « vivantes ».
Avec le recul, la critique moderne ne s'y est pas trompée.
Aussi, tout en
reconnaissant les faiblesses respectives de Ronsard et de Du Bellay, fait-elle une place de choix à ces deux grands lyriques qui, à force
d'études et de réflexions mais aussi grâce à leur génie singulier, ont su donner à la poésie française les cadences et l'harmonie qu'elle
méritait..
»
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