Tchékhov, La Cerisaie, acte I.
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Tchékhov, La Cerisaie, acte I.
VARIA : Dieu merci, vous voilà revenus. Tu es de nouveau à la maison. (Caressant Ania) Ma mignonne est revenue ! Ma jolie est revenue !
ANIA : Ce que j'ai pu endurer !
VARIA : Je m'en doute.
ANIA : Je suis partie pendant la Semaine sainte, il faisait froid. Pendant tout le voyage, Charlotte n'a pas cessé de bavarder, de faire des tours de prestidigitation. Pourquoi m'as-tu collé cette Charlotte ?
VARIA : Tu ne pouvais tout de même pas voyager toute seule, ma mignonne. A dix-sept ans !
ANIA : Nous arrivons à Paris. Il fait froid. Il neige. Mon français est abominable. Maman habite au cinquième, je monte, je trouve des Français, des dames, un vieux curé avec son bréviaire, c'est plein de fumée de tabac, c'est triste... J'ai eu soudain tellement pitié de maman, j'ai pris sa tête, je l'ai serrée dans mes mains, je ne pouvais plus la lâcher. Et après, maman m'a caressée, elle a pleuré...
VARIA, à travers les larmes : Ne dis plus rien, ne dis plus rien.
ANIA : Elle avait déjà vendu sa villa près de Menton, il ne lui restait plus rien, rien du tout. A moi non plus, pas un kopeck, nous avions à peine de quoi rentrer. Et maman qui ne se rend compte de rien ! Dans les buffets de gare, elle demandait ce qu'il y avait de plus cher, et donnait un rouble de pourboire à chaque garçon. Charlotte en faisait autant. Et Yacha aussi, il réclamait des portions entières pour lui, c'était affreux, tout simplement. C'est que maman a un valet de chambre, Yacha ; elle l'a amené ici.
VARIA : Je l'ai vu, ce gredin.
ANIA : Et ici, comment cela s'est-il arrangé ? Avez-vous payé les intérêts ?
VARIA : Penses-tu !
ANIA : Mon Dieu, mon Dieu.
VARIA : En août, la propriété sera vendue...
ANIA : Mon Dieu...
LOPAKHINE, passant sa tête par la porte et bêlant : Mé-é-é... Il retire sa tête.
VARIA, à travers les larmes : Si je pouvais lui en flanquer une... Elle tend le poing vers la porte.
ANIA, enlaçant Varia, à mi-voix : Varia, est-ce qu'il t'a demandée en mariage ? (Varia fait un signe négatif.) Mais puisqu'il t'aime... Pourquoi ne vous expliquez-vous pas, qu'attendez-vous ?
VARIA : Moi je pense que ça ne donnera jamais rien. Il a trop à faire, pas le temps de penser à moi... Il ne me remarque même pas. Tant pis... il m'est si pénible de le voir... Tout le monde parle de notre mariage, tous me félicitent, mais en réalité il n'y a rien, c'est comme un rêve... (Changeant de ton) Ta broche, on dirait une abeille.
ANIA, tristement : C'est maman qui l'a achetée. (Elle va vers sa chambre, et gaiement, comme une enfant) Et à Paris, je suis montée en ballon !
VARIA : Ma mignonne est revenue ! Ma jolie est revenue ! (Douniacha, qui a déjà apporté une cafetière, fait du café. Varia est près de la porte.) Moi, ma mignonne, je travaille toute la journée dans la propriété, et je rêve, je rêve. Si l'on pouvait te faire épouser un homme très riche, alors je serais tranquille, je visiterais des monastères, j'irais à Kiev, à Moscou, je marcherais sans arrêt, de pèlerinage en pèlerinage... Quelle béatitude !
ANIA : Les oiseaux chantent dans le jardin. Quelle heure est-il ?
VARIA : Bientôt trois heures. Il est temps de te coucher, ma mignonne. ( Entrant dans la chambre d'Ania ) Quelle béatitude !
Entre Yacha portant un plaid et un petit sac de voyage.
YACHA, traversant la scène, demande très poliment : On peut passer par ici ?
DOUNIACHA : On ne vous reconnaît plus, Yacha. Comme vous avez changé, loin d'ici !
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