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Tchékhov, La Cerisaie, acte I.

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Tchékhov, La Cerisaie, acte I. LOPAKHINE : Je voudrais vous dire des choses très agréables, qui vous réjouissent. (Consultant sa montre) Mais je pars à l'instant, pas le temps de bavarder... deux ou trois mots seulement. Vous le savez déjà, votre Cerisaie sera vendue pour dettes, la vente est fixée au vingt-deux août, mais ne vous inquiétez de rien, chère amie, dormez en paix. Il y a une solution. Voici mon projet. Je réclame toute votre attention. Votre propriété est située à vingt verstes seulement de la ville, n'est-ce pas, le chemin de fer passe tout près, eh bien, lotissez la Cerisaie et le terrain qui longe la rivière, louez ces lots aux estivants, et c'est pour vous, au bas mot, vingt-cinq mille roubles de revenu annuel. GAEV : Quelles bêtises, excusez-moi. LOPAKHINE : Demandez-leur au minimum vingt-cinq roubles de loyer annuel par déciatine, et si vous vous dépêchez de mettre l'annonce, je vous le garantis par tout ce que vous voudrez, vous n'aurez plus un lopin de terre disponible à l'automne, tout y aura passé. Bref, je vous félicite, vous voilà sauvés. La situation ici est ravissante, la rivière est profonde. Naturellement, il faudra arranger tout cela, nettoyer... ainsi, par exemple, démolir tous les vieux bâtiments, cette maison qui ne vaut plus rien... abattre la vieille cerisaie... LIOUBOV ANDRÉEVNA : Abattre la cerisaie ? Excusez-moi, mon cher, mais vous n'y comprenez rien. S'il y a quelque chose d'intéressant, voire de remarquable dans notre district, c'est uniquement la cerisaie. LOPAKHINE : Elle n'est remarquable que par ses dimensions. Elle ne donne de fruits qu'une fois tous les deux ans, et encore on ne sait que faire des cerises, personne n'en achète. GAEV : Même dans le Dictionnaire Encyclopédique il est question de ce jardin. LOPAKHINE, consultant sa montre : Si nous ne trouvons rien et n'aboutissons à rien, votre cerisaie et toute la propriété seront vendues aux enchères le vingt-deux août. Décidez-vous ! Je vous jure qu'il n'y a pas d'autre solution. Il n'y en a pas et il n'y en a pas. FIRS : Dans le temps, il y a quarante ou cinquante ans de cela, la cerise, on la faisait sécher, macérer, mariner, on en faisait de la confiture et quelquefois... GAEV : Tais-toi, Firs. FIRS : Quelquefois, la cerise séchée, on en envoyait de pleins chariots à Moscou, à Kharkov. De l'argent à la pelle ! Et la cerise alors, elle était douce, juteuse, sucrée, parfumée... On connaissait un procédé... LIOUBOV ANDRÉEVNA : Eh bien, ce procédé ? FIRS : On l'a oublié. Personne ne s'en souvient. PICHTCHIK : Et à Paris ? Comment était-ce ? Avez-vous mangé des grenouilles ? LIOUBOV ANDRÉEVNA : J'ai mangé des crocodiles. PICHTCHIK : Pas croyable... LOPAKHINE : Jusqu'à présent, on ne voyait à la campagne que des seigneurs et des moujiks, mais voilà que les estivants ont fait leur apparition. Aujourd'hui, toutes les villes, même les plus insignifiantes, sont entourées de datchas. Et l'on peut prévoir que d'ici une vingtaine d'années, l'estivant va se multiplier d'une façon extraordinaire. Il ne fait encore que boire du thé sur sa terrasse, mais il se peut qu'il veuille cultiver un jour son bout de terrain, et alors votre cerisaie deviendra heureuse, riche, magnifique... GAEV, indigné : Quelles bêtises ! Entrent Varia et Yacha. VARIA : Il est arrivé deux télégrammes pour vous, petite maman. (Elle prend une clef à son trousseau et ouvre la vieille armoire qui fait entendre un tintement.) Les voilà. LIOUBOV ANDRÉEVNA : C'est de Paris. (Elle déchire les télégrammes sans les lire.) Paris, c'est fini...

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