Que pensez-vous de ce jugement porté par Duhamel sur la publicité : « La publicité moderne marque, pour le public, un injurieux mépris. Elle traite l'homme comme le plus obtus des animaux inférieurs » ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION
La publicité a pris, au cours du XXe siècle, une place de plus en plus grande dans la vie quotidienne : les entractes
de cinéma, les murs des cités, les bas-côtés des routes, les chaînes de radiodiffusion vantent sans cesse tel produit
ou telle marque.
Les procédés utilisés sont extrêmement variés, et mettent en oeuvre toutes les ressources de la
technique audio-visuelle pour attirer l'attention du public.
Georges Duhamel jugeait avec sévérité cette situation
dans Les Scènes de la Vie future : « La publicité moderne marque, pour le public, un injurieux mépris.
Elle traite
l'homme comme le plus obtus des animaux inférieurs ».
Inspirée par le spectacle qu'offraient les États-Unis des
années 30, cette réflexion peut s'appliquer aujourd'hui à notre monde, et nous amène à examiner d'un oeil critique
une réalité que nous subissons en général passivement.
I.
LE POINT DE VUE DE GEORGES DUHAMEL
La critique de Duhamel porte principalement, dans cette phrase, sur les procédés employés par la publicité : il leur
reproche leur caractère grossier, et évoque même la dégradation des sens qu'ils entraînent et qui rend l'homme
inférieur à un chien.
Des procédés simplistes
Dans les Scènes de la Vie future, la réflexion de l'écrivain part du spectacle, extraordinaire à l'époque pour un
Européen, de New York la nuit : les murs, les toits, les façades ruissellent de lumière, multiplient les affirmations, les
conseils, les injonctions.
Tout est bon aujourd'hui pour attirer l'attention et forcer la volonté du consommateur : les
couleurs agressives des affiches, leurs dimensions, les lignes plus ou moins insolites du dessin, nous frappent à notre
insu.
La publicité radiodiffusée associe des noms de marque à des musiques célèbres, les présente par des phrases
incongrues, les répète sans cesse.
Toutes les découvertes de la psychophysiologie sont appliquées à cette
technique nouvelle mise au rang d'une véritable science tournée vers le déclenchement systématique de réflexes
élémentaires.
Et Duhamel s'indigne : « Est-ce à moi que s'adresse, est-ce à moi qu'ose s'adresser cette publicité à
éclipses, à répétitions, à explosions qui semble conçue pour exciter les réflexes d'un mollusque sédentaire ? »
Des procédés avilissants
A ce niveau, le problème est véritablement moral : les procédés de réclame ne s'adressent pas à l'activité cérébrale
consciente, et ramènent l'homme au réflexe conditionné; semblable au chien de Pavlov, il réagit mécaniquement.
Que devient en ce cas une dignité humaine que nous plaçons volontiers dans l'usage de la raison et du libre arbitre ?
Mais il y a plus grave : les instincts auxquels on fait ainsi appel ne sont pas les plus nobles, tant s'en faut.
Les
réclames les plus bénignes flattent la gourmandise, le goût des collections futiles.
D'autres utilisent le culte de la
violence, conseillent des vêtements qui feront ressembler l'acheteur à tel héros célèbre du cinéma ou des bandes
dessinées.
Le ressort essentiel cependant est la sexualité : il serait curieux de relever le nombre d'affiches qui
représentent des « pin up girls » sans qu'elles aient rien à faire avec la banque ou le réfrigérateur recommandés.
Des procédés mensongers
En inhibant les facultés intellectuelles par la violence des sollicitations, la publicité annihile l'esprit critique du
consommateur, alors que celui-ci en aurait particulièrement besoin pour se défendre.
Tout un vocabulaire de
superlatifs, toute une fausse chimie ont été créés pour vanter les produits avec une exagération systématique.
N'est-ce pas aussi mépriser l'homme que de lui promettre ainsi des miracles dont il sera toujours frustré ? Et l'avenir
nous réserve des abus plus graves : certaines expériences ont permis de créer des images cinématographiques que
seul le subconscient perçoit ; dès lors, on peut agir sur le spectateur totalement à son insu, en le persuadant sans
effort.
C'est déjà le Meilleur des Mondes de Huxley que nous entrevoyons dans ce viol de la conscience individuelle
— interdit pour l'instant par la loi.
Une analyse des faits nous permet donc de donner raison sur bien des points à
Georges Duhamel.
Mais la vitupération des moeurs du temps est un lieu commun de la morale, et l'on peut reprocher
à l'auteur des Scènes de la Vie future une opposition systématique aux divers aspects de la vie moderne.
II.
LES AVANTAGES DE LA PUBLICITÉ
Beaucoup de nos contemporains, au contraire, se sentent adaptés au monde dans lequel ils vivent, et n'hésiteraient
pas à défendre la publicité contre les attaques dont elle fait l'objet.
La publicité et l'esthétique
Nous avons vu que les procédés utilisés ne font guère appel à l'intelligence, pour ne pas éveiller l'esprit critique du
client éventuel.
Mais sur le plan esthétique, le résultat n'est pas toujours négatif.
Les palissades qui, surtout depuis
la dernière guerre, entourent les chantiers, sont laides en elle-même, et les affiches bariolées qui les recouvrent les
font oublier.
Les panneaux eux-mêmes sont parfois composés avec beaucoup de goût et avec un réel sens
artistique : paysages, dessins stylisés, jeux de lignes et de couleurs mettent parfois sur nos murs une note imprévue
de dépaysement poétique.
L'affiche a acquis droit de cité dans l'art.
Nul ne niera la gaieté que crée dans une grande
ville la lumière ruisselant dans les artères principales au coeur de la nuit.
Il n'est pas jusqu'au cinéma qui n'ait tiré
profit des recherches artistiques tentées dans les firmes pour les films publicitaires.
On peut rêver d'une cité idéale
où les réclames seraient contrôlées par des décorateurs spécialisés et compétents, qui chasseraient
impitoyablement la laideur et la vulgarité.
La publicité et l'information.
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