Devoir de Français

« Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants comme sa pauvre et infirme nature », écrivait Th. Gautier. Que pensez-vous de ce jugement? Vous direz, en particulier, en empruntant vos exemples à vos propres lectures, quelle utilité vous reconnaissez aujourd'hui à la littérature.

Extrait du document

Les musées sont pleins d'objets que nous trouvons beaux mais que jadis on trouvait simplement utiles : des vases, des coupes, des bougeoirs, des portraits, des statues. Les portraits servaient à fixer les traits des visages; quand un roi de France voulait se marier, on lui apportait les portraits de vingt princesses lointaines; il fallait d'abord qu'ils fussent ressemblants; mais aujourd'hui nous sommes indifférents à la ressemblance; nous ne sommes plus sensibles qu'à l'art du peintre. De même, de nos jours des touristes athées s'extasient devant la beauté des cathédrales ou des temples grecs. Mais autrefois c'étaient des lieux de culte, c'est-à-dire des bâtiments utiles. Tout se passe donc comme si la beauté était ce qui apparaît quand l'utilité a disparu. Est-ce à dire que ces objets n'ont jamais été beaux et que cette beauté que nous leur découvrons n'est qu'une illusion? Certainement pas. Ces objets étaient à la fois utiles et beaux. Avant l'ère de l'industrie, ces deux notions n'étaient pas séparées, mais bien évidemment leur utilité était au premier plan, et elle dissimulait leur beauté; l'utilité évanouie, la beauté apparaît seule; de là naît l'impression que beauté et utilité sont des choses distinctes, voire incompatibles.

« « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants comme sa pauvre et infirme nature », écrivait Th. Gautier.

Que pensez-vous de ce jugement? Vous direz, en particulier, en empruntant vos exemples à vos propres lectures, quelle utilité vous reconnaissez aujourd'hui à la littérature. Développement Les musées sont pleins d'objets que nous trouvons beaux mais que jadis on trouvait simplement utiles : des vases, des coupes, des bougeoirs, des portraits, des statues.

Les portraits servaient à fixer les traits des visages; quand un roi de France voulait se marier, on lui apportait les portraits de vingt princesses lointaines; il fallait d'abord qu'ils fussent ressemblants; mais aujourd'hui nous sommes indifférents à la ressemblance; nous ne sommes plus sensibles qu'à l'art du peintre.

De même, de nos jours des touristes athées s'extasient devant la beauté des cathédrales ou des temples grecs.

Mais autrefois c'étaient des lieux de culte, c'est-à-dire des bâtiments utiles.

Tout se passe donc comme si la beauté était ce qui apparaît quand l'utilité a disparu.

Est-ce à dire que ces objets n'ont jamais été beaux et que cette beauté que nous leur découvrons n'est qu'une illusion? Certainement pas.

Ces objets étaient à la fois utiles et beaux.

Avant l'ère de l'industrie, ces deux notions n'étaient pas séparées, mais bien évidemment leur utilité était au premier plan, et elle dissimulait leur beauté; l'utilité évanouie, la beauté apparaît seule; de là naît l'impression que beauté et utilité sont des choses distinctes, voire incompatibles. C'est l'industrie qui a creusé l'écart entre le beau et l'utile.

A la fin du XVIII" siècle en Angleterre, au début du XIX' siècle sur le continent, l'industrie commence à remplacer l'artisanat.

Pour produire plus vite en plus grande quantité, elle aligne, autant que faire se peut, la forme des objets sur leur fonction; elle engendre la laideur utile : vaisselle fabriquée en série, vêtements de confection, plus tard les premières locomotives, etc.

Inversement, en réaction contre la vulgarité du monde moderne, on devient sensible à la beauté des objets du passé; on les préserve et on les conserve dans des musées.

Ainsi s'instaure la séparation que nous connaissons encore entre deux mondes devenus désormais étrangers l'un à l'autre, celui du travail et celui de l'art.

C'est à cette situation que fait écho la phrase de Th.

Gautier.

Cette séparation une fois effectuée ne peut que s'accentuer.

En effet, on se fait une idée trop haute de la beauté pour prétendre en attacher une parcelle aux objets utiles; l'art est un idéal réservé aux artistes auquel le commun des mortels a renoncé.

Inversement, la laideur du monde industriel valorise l'art et en fait la nécessaire contrepartie de la médiocrité quotidienne.

Chez Th.

Gautier cette conception est aggravée par son pessimisme : l'utile, pense-t-il, est l'expression des besoins de l'homme qui sont ignobles. Pourtant est-ce bien ainsi que l'on peut le mieux défendre la beauté et lui conserver sa place dans le monde? Certainement pas.

En effet, ce qui a permis aux oeuvres belles de parvenir jusqu'à nous, c'est leur utilité qui en était le support et la justification.

Créer des oeuvres belles inutiles serait leur refuser le souffle et le sang qui leur permettraient de vivre.

Ces oeuvres-là iraient directement au cimetière des oeuvres mortes que sont les musées.

Si l'on veut défendre la beauté, il ne faut pas répondre à la laideur de l'utile par l'inutilité du beau; il faut donc revenir à la sagesse du passé et créer des oeuvres belles qui soient en même temps utiles ou plutôt des oeuvres utiles qui soient en même temps belles.

Cela, bien sûr, n'est pas possible pour les objets industriels mais c'est possible pour les oeuvres d'art : la photographie peut associer l'utilité et la beauté; mais le domaine où cela est le plus vrai est celui de la littérature.

Aucun des chefs-d'oeuvre passés que nous admirons n'a été composé pour ses seules qualités formelles.

Pascal voulait convaincre, Rousseau voulait démontrer; Molière, Voltaire, Victor Hugo ont mené par leurs écrits un véritable combat.

C'est pour cela aussi que leurs oeuvres sont belles.

Le projet qui présidait à leur composition leur a donné une structure, une solidité, une cohérence qui apparaissent dans leur forme.

Car il n'y a pas de forme sans contenu.

Telle est l'objection principale que l'on peut formuler à l'égard de la théorie de « l'art pour l'art », chère à Th.

Gautier. En fait c'est en visant l'utile que l'on atteint le beau, alors qu'en visant le beau exclusivement, on le manque presque toujours.

Le langage a un sens; toute poésie pure est contrainte de dire quelque chose sous peine de ne pas être. Faut-il en conclure que la littérature doit être utilitaire, c'est-à-dire au service d'une cause politique ou conçue pour valoir à son auteur des avantages matériels? non, car elle peut être à la fois utile et désintéressée; servir des causes élevées, la vérité, la justice, c'est n'être pas inutile, c'est aussi obéir à des motifs qui n'ont rien d'utilitaire. Comprenons qu'il y a des degrés dans l'utile et que cette notion peut recouvrir les valeurs les plus nobles comme les intérêts les plus vils.

Couper la littérature de toute utilité, la vider de toute signification n'est pas le meilleur moyen de la rendre belle.

Même les oeuvres qui se veulent formelles ont un contenu et un sens.

Ceux-ci vont à l'opposé des passions et des intérêts du jour, mais ils n'en existent pas moins et ce sont eux qui donnent à ces oeuvres leur valeur. La littérature n'est pas un vain divertissement esthétique; les grandes images qu'elle nous propose sont, plus qu'utiles, indispensables à notre équilibre; elles nous permettent de nous fuir par le rêve ou de nous retrouver par la réflexion.

Ce que nous appelons la beauté d'une oeuvre désigne en fait la vertu qu'elle a d'enrichir notre vie en touchant notre coeur.. »

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