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Pierre Corneille

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Si l'on se tourne vers la vie de l'homme, il est difficile de dégager Corneille de sa légende. Il naît rue de la Pie, à Rouen, le 6 juin 1606. Sa soeur Marthe (qui sera la mère de Fontenelle), ses frères, dont l'un, Thomas, va connaître au théâtre le plus grand succès du siècle, la maison de campagne à Petit-Couronne où l'on passe les vacances d'été, un interminable procès pour un mur de séparation le long d'une mare, l'entrée au collège des Jésuites, ces menus faits alimentent les annales d'une enfance dont nous ignorons tout. L'adolescence ? Une allure fière, beaucoup de désinvolture et de morgue, un goût vif et court pour la femme, un ton gouailleur, bravache et quelque peu mousquetaire. Ni le " bonhomme ", ni le " grand " Corneille ne rappellent cette bohème du jeune écrivain, sensuel plus que sentimental, porté aux bagatelles, aux sous-entendus sans délicatesse. Mais l'élève des Jésuites s'accordait superbement à ce donjuanisme en herbe : on serait même tenté de découvrir de l'un à l'autre un secret chemin. Il est vrai : à peu près tout nous échappe, son premier amour pour Catherine Hue, son mariage avec Marie de Lampérière, sa fonction d'avocat du Roi. Ni son intervention dans l'affaire de navigation fluviale qui opposait les pilotes aux propriétaires-armateurs du Havre, ni son procès avec Hays porté devant le conseil privé au sujet d'une place de second avocat à la Table de Marbre, ne suffisent à nous faire saisir sa vie intime et son caractère. Bourgeois, bon père de famille, chrétien convaincu, c'est possible ; rien ne nous en assure. A deux reprises (après Polyeucte et après Pertharite) il semble rechercher la solitude ; appliqué, scolaire, il traduit alors l'Imitation de Jésus-Christ, les Hymnes du Bréviaire romain, la Louange de la Sainte Vierge. Mais il écrit en même temps la Toison d'or et Agésilas. Fut-il de la Fronde ? gallican ou ultramontain ? Fut-il pour ou contre les Ministres et les Reines régentes ? Son esprit d'indépendance et de rébellion contre les puissances s'affirme aussi bien que son esprit de soumission au Roi et aux Grands. Après la révolte des va-nus-pieds à Rouen, et l'effroyable répression du Chancelier Séguier, on aimerait croire qu'il choisit volontiers pour sa tragédie de Cinna le thème de la clémence. Mais plus tard, la cabale des Princes étant dispersée dans le sang et l'exil, il accepte de remplacer le frondeur Bauldry relevé de sa charge de Procureur des Etats de Normandie. Opportunisme, ambition ou conviction de légitimiste ? On ne peut décider.

« Pierre Corneille Si l'on se tourne vers la vie de l'homme, il est difficile de dégager Corneille de sa légende.

Il naît rue de la Pie, à Rouen, le 6 juin 1606.

Sa soeur Marthe (qui sera la mère de Fontenelle), ses frères, dont l'un, Thomas, va connaître au théâtre le plus grand succès du siècle, la maison de campagne à Petit-Couronne où l'on passe les vacances d'été, un interminable procès pour un mur de séparation le long d'une mare, l'entrée au collège des Jésuites, ces menus faits alimentent les annales d'une enfance dont nous ignorons tout.

L'adolescence ? Une allure fière, beaucoup de désinvolture et de morgue, un goût vif et court pour la femme, un ton gouailleur, bravache et quelque peu mousquetaire.

Ni le " bonhomme ", ni le " grand " Corneille ne rappellent cette bohème du jeune écrivain, sensuel plus que sentimental, porté aux bagatelles, aux sous-entendus sans délicatesse.

Mais l'élève des Jésuites s'accordait superbement à ce donjuanisme en herbe : on serait même tenté de découvrir de l'un à l'autre un secret chemin.

Il est vrai : à peu près tout nous échappe, son premier amour pour Catherine Hue, son mariage avec Marie de Lampérière, sa fonction d'avocat du Roi.

Ni son intervention dans l'affaire de navigation fluviale qui opposait les pilotes aux propriétaires-armateurs du Havre, ni son procès avec Hays porté devant le conseil privé au sujet d'une place de second avocat à la Table de Marbre, ne suffisent à nous faire saisir sa vie intime et son caractère. Bourgeois, bon père de famille, chrétien convaincu, c'est possible ; rien ne nous en assure.

A deux reprises (après Polyeucte et après Pertharite) il semble rechercher la solitude ; appliqué, scolaire, il traduit alors l'Imitation de Jésus-Christ, les Hymnes du Bréviaire romain, la Louange de la Sainte Vierge.

Mais il écrit en même temps la Toison d'or et Agésilas.

Fut-il de la Fronde ? gallican ou ultramontain ? Fut-il pour ou contre les Ministres et les Reines régentes ? Son esprit d'indépendance et de rébellion contre les puissances s'affirme aussi bien que son esprit de soumission au Roi et aux Grands.

Après la révolte des va-nus-pieds à Rouen, et l'effroyable répression du Chancelier Séguier, on aimerait croire qu'il choisit volontiers pour sa tragédie de Cinna le thème de la clémence.

Mais plus tard, la cabale des Princes étant dispersée dans le sang et l'exil, il accepte de remplacer le frondeur Bauldry relevé de sa charge de Procureur des Etats de Normandie.

Opportunisme, ambition ou conviction de légitimiste ? On ne peut décider. Ce marguillier, ce trésorier de l'église Saint-Sauveur, en dehors d'une tragédie sacrée où il montre le néant de toutes les grandeurs de chair, écrit quelque trente pièces de théâtre où il n'est jamais question que de justifier la grandeur humaine et la gloire des choses de ce monde.

Dieu, la providence, ne furent en aucun théâtre aussi écartés de l'effort, de l'amour, de l'espérance de l'homme.

Une vie calme que remplissaient l'ordre et l'économie d'un ménage nombreux, la gestion des biens de famille et des ressources procurées par les fermes de Petit-Couronne et du Val de La Haye, quelques voyages à Paris pour rendre visite aux protecteurs, aux libraires et aux gens de théâtre, l'entrée dès 1647 à l'Académie française, l'éducation puis l'établissement des enfants, enfin jusqu'aux approches de la mort les soins de l'oeuvre toujours en chantier.

Sans doute.

Mais on devine d'autres activités, d'autres inquiétudes.

On ne sait trop pourquoi, vers 1662 il quitte Rouen pour s'installer à Paris.

Il avait connu Thérèse de Gorla lors d'un passage de la troupe de Molière à Rouen.

Il la revoit dans la capitale ; ce commerce tendre dure une dizaine d'années jusqu'au moment où la comédienne fut à Racine.

Mais Mlle du Parc n'est pas sans doute la seule femme qui séduisit Corneille ; à moins de considérer les poèmes à Mlle Serment ou à Caliste comme des exercices galants ; ils peuvent toutefois couvrir la tendresse la moins innocente Quelques faits encore : un procès-verbal pour de la paille abandonnée dans la rue, les deux mariages de sa fille aînée Marie (la trisaïeule de Charlotte Corday), la mort de son fils Charles, l'entrée dans les ordres de Thomas et de Madeleine, un fils tué devant Grave, la vente de la maison de la rue de la Pie, et voici les jours d'extrême vieillesse, peut-être de gêne, avec cette gratification royale payée, semble-t-il, grâce à Boileau, et pour finir cette anecdote de la chaussure à rapiécer que le grand Corneille va porter lui-même à l'échoppe du coin ! On peut coudre et recoudre à plaisir ces images naïves.

C'est encore au mot de Fontenelle sur son oncle qu'il faut revenir : " A le regarder comme un auteur illustre, sa vie est proprement l'histoire de ses ouvrages.

" Sans doute ne croyait-il pas à la fois si bien et si mal dire. Corneille est l'écrivain de toutes les chances : bonnes ou mauvaises il fut comblé ; l'histoire a gravé son visage dans le bronze de la médaille romaine ; elle nous a imposé à la fois la légende d'une vie bonhomme et celle d'une oeuvre exemplaire, illustration et maxime des vertus morales, patriotiques et civiques.

Double mythe, critique et biographique, sur quoi s'est établie une universelle renommée.

Heureuse fortune après tout si Corneille peut aujourd'hui vaincre sa légende, rentrer dans ses domaines et commencer enfin une authentique carrière. A vingt-trois ans il remet au comédien Mondory son manuscrit de Mélite (1629) qui inaugure avant Molière la comédie de moeurs et de caractères, remplace le décor de rocaille, le costume et l'âme de l'idylle pastorale qui n'en finissaient plus d'être à la mode, par une intrigue parisienne, jouée dans la langue et sous l'habit bourgeois des contemporains.

Dans cette neuve formule il donne coup sur coup la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante ; puis deux comédies, forte : la Place Royale et étrange : l'Illusion comique ; et entre temps deux essais de tragédie disparate et sans aplomb : Clitandre et Médée.

Huit ans après Mélite, second coup de gong du génie : le Cid (1637) fonde la tragédie française.

Suivent des chefs-d'oeuvre : Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée, le Menteur, Rodogune, Don Sanche d'Aragon et ce peu convaincant mais singulier Nicoméde où la tragédie s'exténue et refuse le tragique. A ces succès s'ajoute une précieuse disgrâce : le triomphe du Cid suscite l'Histoire de la critique en France par ces Sentiments de l'Académie française sur le Cid où des gens de métier, pour la première fois, exercent l'art de donner des conseils au génie, et quelques années plus tard, cette magistrale réplique des Discours sur le poème dramatique, qui demeurent un des exposés les plus lucides de la dramaturgie classique.

Sans désemparer, Corneille. »

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