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Pierre-Augustin de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte III, scène 16, 1784.

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Pierre-Augustin de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte III, scène 16, 1784. [Dans cette comédie, Figaro, le valet du comte Almaviva, est amoureux de Suzanne, une femme de chambre. Il a contracté des dettes auprès de Marceline, une femme de charge s'occupant de la vaisselle et du linge. Au terme d'un procès, il est contraint de l'épouser. Mais Figaro découvre l'identité de ses vrais parents : Marceline est, en fait, sa mère séduite puis abandonnée par Bartholo, un médecin de la ville. Elle se fait, ici, le porte-parole des femmes trahies par les hommes.] BARTHOLO, montrant Marceline. — Voilà ta mère. FIGARO. — ... nourrice ? BARTHOLO. — Ta propre mère. LE COMTE. — Sa mère ! FIGARO. — Expliquez-vous. MARCELINE, montrant Bartholo. - Voilà ton père. FIGARO, désolé — Oooh ! aïe de moi ! MARCELINE. — Est-ce que la nature ne te l'a pas dit mille fois ? FIGARO. — Jamais. LE COMTE, à part.— Sa mère ! BRID'OISON1. — C'est clair, i-il ne l'épousera pas. BARTHOLO. — Ni moi non plus. MARCELINE. — Ni vous ! Et votre fils ? Vous m'aviez juré... BARTHOLO. — J'étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d'épouser tout le monde. BRID'OISON. — E-et si l'on y regardait de plus près, personne n'épouserait personne. BARTHOLO. — Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable. MARCELINE, s'échauffant par degrés. — Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit ! Je n'entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu'il est dur de les expier2 après trente ans d'une vie modeste ! J'étais née, moi, pour être sage et je la suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées3 ! FIGARO. — Les plus coupables sont les moins généreux; c'est la règle. MARCELINE, vivement. — Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez4 par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! c'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse; vous et vos magistrats, si vains5 du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état6 pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe7. FIGARO, en colère. — Ils font broder jusqu'aux soldats ! MARCELINE, exaltée. — Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire8 ; leurrées9 de respects apparents, dans une servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié ! FIGARO. — Elle a raison ! 1. Brid'Oison : président du tribunal local (il bégaie). 2. expier : être puni d'une faute. 3. infortunées : jeunes filles séduites et abandonnées, comme Marceline. 4. flétrir : déshonorer. 5. vains : qui tirent vanité de, fiers. 6. état : métier. 7. Marceline déplore que la broderie ne soit plus un métier uniquement réservé aux femmes. 8. dérisoire : insignifiante 9. leurrées : trompées

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