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PAUL CLAUDEL, Partage de Midi, III, fin.

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Ysé : Vois-la maintenant dépliée, ô Mésa, la femme pleine de beauté déployée dans la beauté plus grande! Que parles-tu de la trompette perçante ? lève-toi, ô forme brisée, et vois-moi comme une danseuse écoutante, Dont les petits pieds jubilants sont cueillis par la mesure irrésistible! Suis-moi, ne tarde plus! Grand Dieu, me voici, riante, roulante, déracinée, le dos sur la subsistance même de la lumière comme sur l'aile par-dessous de la vague! O Mésa, voici le partage de minuit! et me voici, prête à être libérée, Le signe pour la dernière fois de ces grands cheveux déchaînés dans le vent de la Mort! Mésa : Adieu! je t'ai vue pour la dernière fois! Par quelles routes longues, pénibles, Distants encore que ne cessant de peser L'un sur l'autre, allons-nous Mener nos âmes en travail ? Souviens-toi, souviens-toi du signe! Et le mien, ce n'est pas de vains cheveux dans la tempête, et le petit mouchoir un moment, Mais, tous voiles dissipés, moi-même, la forte flamme fulminante, le grand mâle dans la gloire de Dieu, L'homme dans la splendeur de l'Août, l'Esprit vainqueur dans la transfiguration de Midi! PAUL CLAUDEL, Partage de Midi, III, fin.

« Ysé : Vois-la maintenant dépliée, ô Mésa, la femme pleine de beauté déployée dans la beauté plus grande! Que parles-tu de la trompette perçante ? lève-toi, ô forme brisée, et vois-moi comme une danseuse écoutante, Dont les petits pieds jubilants sont cueillis par la mesure irrésistible! Suis-moi, ne tarde plus! Grand Dieu, me voici, riante, roulante, déracinée, le dos sur la subsistance même de la lumière comme sur l'aile par-dessous de la vague! O Mésa, voici le partage de minuit! et me voici, prête à être libérée, Le signe pour la dernière fois de ces grands cheveux déchaînés dans le vent de la Mort! Mésa : Adieu! je t'ai vue pour la dernière fois! Par quelles routes longues, pénibles, Distants encore que ne cessant de peser L'un sur l'autre, allons-nous Mener nos âmes en travail ? Souviens-toi, souviens-toi du signe! Et le mien, ce n'est pas de vains cheveux dans la tempête, et le petit mouchoir un moment, Mais, tous voiles dissipés, moi-même, la forte flamme fulminante, le grand mâle dans la gloire de Dieu, L'homme dans la splendeur de l'Août, l'Esprit vainqueur dans la transfiguration de Midi! PAUL C LA UDEL, Partage de Midi, III, fin. Situation du passage. Entre 1900 et 1906, au « midi » de sa vie, Claudel s'est posé un problème douloureux : comment deux êtres peuvent-ils, dés leur première rencontre, se sentir prédestinés de toute éternité l'un à l'autre et se heurter pourtant à l'obstacle d'un mariage antérieur, sacrement indissoluble? Quinze ans avant Le Soulier de satin, il résout ce problème : dans Partage de Midi, il affirme que le renoncement terrestre est la condition et le moyen d'une communion mystique dans l'au-delà.

Mais la pièce se déroule presque tout entière dans le monde du péché; c'est seulement au cours de la dernière scène que nous pénétrons dans le monde de la grâce. Mésa, une âme ardente et tourmentée, a séduit Ysé, femme de De Ciz, après avoir fait attribuer à son mari un poste dangereux où il a trouvé la mort.

Au bout d'un an, Ysé a quitté Mésa pour un aventurier qu'elle a connu jadis, Amalric.

Au dernier acte, A malric et Ysé se trouvent cernés par des rebelles dans une ville chinoise.

Mésa les rejoint grâce à un sauf-conduit et veut sauver Ysé; Amalric le terrasse, s'empare du sauf-conduit et s'enfuit avec la jeune femme.

Mais Ysé abandonne en route A malric et revient auprès de Mésa pour mourir avec lui.

Tous deux comprennent enfin le sens de leur aventure et attendent l'explosion imminente. Le texte. Les paroles d'Ysé, avec leurs images (la femme...

déployée, la danseuse..., jubilants, la créature riante, roulante, sur l'aile de la vague), leur rythme irrésistible et comme fébrile, traduisent l'allégresse de l'être qui s'est enfin trouvé lui-même : la femme frivole, capricieuse, de naguère, «brisant tout, se brisant elle-même », renie la beauté terrestre dont elle était si vaine et comprend que le rôle de cette beauté, reflet de la beauté divine, n'est pas de mener l'homme à la perdition, mais au contraire, au-delà des attraits charnels, à la beauté plus grande du monde spirituel.

Mésa vient de déclarer qu'au-delà de la tombe, il entend « le clairon de l'Exterminateur » : Ysé, elle, n'éprouve nullement l'épouvante de la créature terrassée par la trompette perçante du jugement; c'est comme un délire de joie qui l'emplit.

Elle renonce, tant pour son amant, forme brisée (il a eu « l'épaule démanchée » et « la jambe démolie » dans sa lutte avec Amalric), que pour ellemême, chair pécheresse bientôt déracinée; elle s'abandonne, le dos...

sur l'aile de la vague, au flot de la lumière divine, qui seule subsiste, c'est-à-dire seule est réalité.

Voici le partage de minuit : ces mots ferment le cycle qui s'est ouvert au premier acte sur le partage de midi, lorsque la cloche sur le paquebot égrenait les douze coups du milieu du jour, et lorsque Mésa et Ysé eurent au même instant la révélation de leur mutuel amour; mais ce fut pour le péché et le crime. L'autre partage, qui symbolise la frontière de la mort qu'ils ont atteinte, va leur permettre de se retrouver dans leur vérité essentielle.

A ussi Ysé rappelle-telle, pour en dégager la signification profonde, un autre leitmotiv du drame, celui des grands cheveux déchaînés, évoqué au début de la pièce par Amalric, puis au dernier acte par Mésa, qui, en revoyant Ysé « toute blanche avec ses longs cheveux épars dans la véranda inondée par la lune », murmure : « Telle je t'ai vue, jadis, sur le navire.

» Tout attrait charnel est dépassé et le vent de la Mort fait de cette chevelure, non plus le signe d'une vaine et dangereuse jeunesse, mais l'expression à la fois d'un adieu et d'une espérance par-delà la mort. A l'élan d'Ysé répond celui de Mésa; mais le ton en est différent, à la fois plus sobre et plus grave.

Ébranlé par l'impulsion frémissante d'Ysé, il se met en marche avec plus de lenteur, mais il atteint finalement à une connaissance plus profonde. La période commence sur un rythme comme alourdi par un dur et long effort, pour s'élargir dans la splendeur des grandes images terminales : après la séparation et la solitude dans l'expiation (par quelles routes pénibles..., distants..., allons-nous mener nos âmes en travail ?), viendra l'épanouissement en Dieu. Maintenant Mésa voit plus loin qu'Ysé, au-delà de tout amour humain : il la prie instamment (Souviens-toi répété) de se souvenir non du signe purement sentimental des cheveux dans la tempête ou du petit mouchoir, mais du signe mystique de la flamme; le mot fait songer à l'explosion qu'on attend, et qui devient le symbole de la fusion en Dieu par l'anéantissement de la chair.

Les expressions forte flamme fulminante (noter l'allitération en f), grand mâle, homme, splendeur de l'Août, soulignent le contraste entre la fermeté conquérante de Mésa et l'abandon d'Ysé; elles traduisent l'entrée résolue, virile, dans la mort qui va rendre possible la transfiguration suprême : celle de l'Esprit s'accomplissant dans la plénitude divine, comparable à celle de Midi. Conclusion. Le drame passionnel s'achève ainsi sur un plan humain et mystique à la fois en ce finale d'un lyrisme puissant, qui mêle les symboles hardis aux expressions familières et, comme une oeuvre musicale, fait retentir une dernière fois une série de thèmes sous la forme d'images qui se répondent et s'opposent.

Le rythme et les sonorités évoquent d'abord un frémissement éperdu, puis une marche lente et rude, finalement épanouie en deux grands accords magistraux; et le dernier mot, Midi, rappelle une dernière fois la signification de la pièce.

La portée mystique de la pensée, la richesse symbolique de l'expression, le caractère suggestif des images donnent à l'oeuvre, dans ce fragment de scène, un couronnement digne d'elle.. »

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