L'oeuvre critique de Sainte-Beuve

« LA MÉTHODE Sainte-Beuve conçoit la critique comme une enquête objective et exhaustive à propos d'une oeuvre.

Il veut « interroger directement, examiner l'individu-talent, dans son éducation, dans sa culture, dans sa vie, dans ses origines ».

Lorsqu'il aborde un écrivain, il s'attache à en faire « le siège »; c'est ainsi qu'il parvient à le saisir dans l'acte même de sa création et à le représenter avec toutes ses particularités.

Armé de cette méthode, SainteBeuve peint des « portraits littéraires ».

Tous ses recueils d'études critiques pourraient porter ce titre, même PortRoyal, car il a voulu se conduire avec l'abbaye « comme avec un personnage unique dont on écrirait la biographie.

» Vers la fin de sa vie, il est vrai, Sainte-Beuve sacrifie aux tendances de la nouvelle génération et cherche à concilier son goût pour les âmes individuelles avec les exigences généralisatrices de la science.

Il se définit alors comme un « naturaliste des esprits », qui étudie les espèces pour les classer en familles; mais il se considère comme un promeneur dans le jardin des lettres, plutôt que comme un botaniste de cabinet, et préfère les joies de l'herborisation aux nécessités de la classification. LE GOUT Sainte-Beuve, rebelle à tout dogmatisme, se montre accueillant aux diverses formes de l'art.

Romantique par sa formation, il se plaît, surtout au début de sa carrière, à louer le mérite et l'ingéniosité des écrivains qui rajeunissent la littérature : l'un des premiers en France, il signale l'intérêt des inventions fantastiques d'Hoffman.

En vieillissant, cependant, Sainte-Beuve renie quelques-uns de ses anciens enthousiasmes; il s'éloigne du romantisme et goûte de plus en plus la simplicité, la clarté, la raison.

Souvent injuste à l'égard de ses contemporains, il ne retrouve toute sa sérénité que lorsqu'il étudie les auteurs des siècles précédents, notamment les grands classiques, Molière ou La Fontaine. LE STYLE Chaque article de Sainte-Beuve est une oeuvre d'art.

La phrase, toujours admirablement équilibrée, s'orne d'images fraîches, de métaphores suggestives filées avec adresse.

Le critique compare Port-Royal à une église dont il reconnaît les abords avant de pénétrer dans la nef, dans les bas-côtés, dans les chapelles, dans la crypte, et le mouvement même de son esprit en quête de vérité au cours d'une « grande et limpide rivière qui serpente et se déroule autour des oeuvres et des monuments de la poésie, comme autour des rochers, des forteresses, des coteaux tapissés de vignobles et des vallées touffues qui bordent ses rives ».

A bon droit, il se flatte d'avoir introduit dans un genre ingrat « une sorte de charme ».. »