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Jules Romains

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Au début de ce siècle, qu'il allait marquer d'une forte empreinte, un jeune écrivain, à peine âgé de vingt ans, s'imposait déjà à l'attention des milieux littéraires sous le pseudonyme de Jules Romains, son vrai patronyme étant Louis Farigoule. Si le nom d'emprunt évoquait les fastes d'un art éloquent et une ambition de caractère impérial, le nom familial sentait bon l'herbe des champs et la vérité de la terre : on dirait volontiers que tout l'avenir du jeune homme était signifié d'avance par cette conjonction de la poésie naturelle et de la volonté souveraine, de l'imagination et du réalisme. Né "dans un village au pied du mont Mézenc", à La Chapuze, hameau de Saint-Julien Chapteuil (Haute-Loire), où une rue porte déjà le nom de Jules Romains, le jeune Farigoule, issu d'instituteurs parisiens, s'engage d'abord sur la voie universitaire : il brille dans les examens et les concours, il s'illustre par ses dons (et par quelques facéties mémorables) dans les turnes normaliennes de la rue d'Ulm ; il devient licencié ès sciences et agrégé des lettres ; il enseigne la philosophie dans divers lycées, notamment à Paris (1916-1917) au collège Rollin (devenu lycée Jacques-Decour). Mais il quitte l'enseignement en 1921 et disparaît de la scène après avoir publié un mémoire d'anticipation scientifique sur la vision extra-rétinienne. Désormais Farigoule a définitivement cédé la place à Romains, mais je ne saurais le supprimer de ce schéma biographique et je dois dire que je ne me serais pas tant plu à l'y montrer si je n'avais partagé, avec quelques hommes de ma génération, le privilège inoubliable de l'avoir eu pour "prof' de philo" et de découvrir Romains sous Farigoule et, sous le professeur, le poète de la Vie unanime.

« Jules Romains Au début de ce siècle, qu'il allait marquer d'une forte empreinte, un jeune écrivain, à peine âgé de vingt ans, s'imposait déjà à l'attention des milieux littéraires sous le pseudonyme de Jules Romains, son vrai patronyme étant Louis Farigoule.

Si le nom d'emprunt évoquait les fastes d'un art éloquent et une ambition de caractère impérial, le nom familial sentait bon l'herbe des champs et la vérité de la terre : on dirait volontiers que tout l'avenir du jeune homme était signifié d'avance par cette conjonction de la poésie naturelle et de la volonté souveraine, de l'imagination et du réalisme. Né "dans un village au pied du mont Mézenc", à La Chapuze, hameau de Saint-Julien Chapteuil (Haute-Loire), où une rue porte déjà le nom de Jules Romains, le jeune Farigoule, issu d'instituteurs parisiens, s'engage d'abord sur la voie universitaire : il brille dans les examens et les concours, il s'illustre par ses dons (et par quelques facéties mémorables) dans les turnes normaliennes de la rue d'Ulm ; il devient licencié ès sciences et agrégé des lettres ; il enseigne la philosophie dans divers lycées, notamment à Paris (1916-1917) au collège Rollin (devenu lycée Jacques-Decour).

Mais il quitte l'enseignement en 1921 et disparaît de la scène après avoir publié un mémoire d'anticipation scientifique sur la vision extra-rétinienne. Désormais Farigoule a définitivement cédé la place à Romains, mais je ne saurais le supprimer de ce schéma biographique et je dois dire que je ne me serais pas tant plu à l'y montrer si je n'avais partagé, avec quelques hommes de ma génération, le privilège inoubliable de l'avoir eu pour "prof' de philo" et de découvrir Romains sous Farigoule et, sous le professeur, le poète de la Vie unanime. Donc, au début de ce siècle, le jeune Jules Romains fait figure de chef d'école littéraire, ou.

cour mieux dire, d'inventeur d'un système de pensée, d'un nouveau mode de sensibilité et d'appréhension de l'univers mental et social : l'unanimisme.

Romains en fournit toute une série d'illustrations, d'incarnations, parfois de démonstrations, dans une quinzaine d'ouvrages en dix ans, qui prouvent la diversité de ses dons et talents, puisque ce sont tour à tour des essais, des romans, des poèmes, du théâtre, et qui jouent dans tous les registres, allant du tragique de l'Armée dans la ville au canularesque des Copains, du lyrisme des Odes et prières à la métaphysique du Manuel de déification. Toutefois, malgré la part importante de la prose dans toutes ces premières oeuvres, Jules Romains, avant 1914, apparaît surtout comme un poète et sera tenu pour tel jusqu'aux années de l'immédiate après-guerre.

Il est le poète qui, dès 1916, a composé cet admirable poème, Europe, cette élévation pacifique qui est, au-delà de la théorie, la prise de conscience déchirante et passionnée, par un individu seul, du destin unanime des foules, les "libres foules", les "foules contraires à la mort". Mais les années 1920-1930 voient l'unanimisme s'estomper, le surréalisme se lever, et la carrière de Jules Romains s'infléchir, se nuancer, s'affirmer dans d'autres directions : le théâtre jusqu'alors ne lui avait pas valu le large auditoire des foules qu'il chantait, quand éclata soudain (décembre 1923) le triomphal succès de la comédie de Knock.

On aurait pu croire que Romains, promu au rang d'émule de Molière, poursuivrait désormais uniquement une carrière glorieuse d'auteur dramatique.

Il n'en fut rien.

L'universalité de ses dons le poussait dans tous les domaines qu'il se sentait apte à conquérir.

Sans doute a-t-il donné plusieurs autres pièces, et non sans succès, depuis le poème dramatique de Cromedeyre-le-vieil jusqu'à la féerie de Donogoo, en passant par des comédies ou des drames tels que M.

Le Trouhadec saisi par la débauche ou le Dictateur, et on lui doit d'autres recueils de poésie, telle l'Ode génoise, mais en même temps il rassemblait un public de lecteurs de plus en plus large autour de sa production romanesque (notamment Quand le navire...) et il poursuivait, dans le secret de son imagination créatrice, le très vaste dessein de cet immense édifice, les Hommes de bonne volonté, dont le premier volume parut en 1932 et le vingt-septième et dernier en 1946, six d'entre eux ayant été publiés d'abord en Amérique où Jules Romains s'était volontairement exilé pendant l'occupation de la France. Ce n'est pas dans un exposé aussi bref que celui-ci que l'on pourrait embrasser toute l'étendue de cette fresque sociale et historique qui peint toute la vie française et les destins de l'Europe depuis l'année 1906 jusqu'au milieu de l'entre-deux-guerres.

La postérité dira si l'ensemble de ce panorama lui demeure présent à l'esprit, mais d'ores et déjà on tient pour assuré que telle ou telle partie du tableau ne pourra plus s'effacer de la vision ni de la mémoire.

S'il fallait n'en indiquer qu'une seule, le choix de Verdun s'imposerait. Nulle part ne s'affirment mieux l'intelligence des faits, les facultés de re-création, de synthèse et d'exposition, bref le talent souverain de l'auteur qui a réussi cette gageure apparente, n'ayant point participé à la grande bataille de 1916, d'en donner l'image la plus véridique, de l'aveu même de ceux qui combattirent.

Cette réussite n'est comparable qu'à l'évocation de la campagne de Russie dans Guerre et Paix, de Tolstoï. A son retour en France, après la Libération, Jules Romains fut élu à l'Académie française (1946) et il se vit investir d'importantes responsabilités dans divers secteurs de la vie culturelle.

Mais ni les honneurs ni l'âge n'ont ralenti ses activités créatrices : des essais, des récits et des romans (ainsi le Fils de Jerphanion, Mémoires de Madame Chauverel, Portraits d'inconnus) sont venus s'ajouter à la longue liste de ses ouvrages. Il serait prématuré de donner dès à présent un jugement d'ensemble sur cet oeuvre qui n'est d'ailleurs pas achevé.

Mais il n'est pas interdit d'anticiper sur les jugements futurs.

Ce n'est pas être téméraire que d'attribuer au temps, au recul, le pouvoir de mieux situer chaque moyen d'expression d'un auteur, théâtre, poésie, roman, essai, et de lui attribuer son importance relative, ses proportions exactes par rapport aux autres, enfin assurer l'équilibre des valeurs.

Dans cette perspective d'avenir, quand les nouvelles vagues se seront successivement étalées, il est concevable que l'on voie les monuments poétiques édifiés par Jules Romains prendre une ampleur, une hauteur, que la majestueuse architecture des Hommes de bonne volonté offusque à nos regards contemporains.

En tout cas il n'est pas trop tôt pour estimer que la postérité aura le droit de voir, dans tout l'oeuvre de Romains, pendant plus d'un demisiècle, sans écart, sans défaillance, l'affirmation constructive d'un classicisme moderne.. »

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