Devoir de Français

Johann Wolfgang Goethe

Extrait du document

Johann Wolfgang Goethe Entre toutes les épithètes-clichés qui furent si libéralement octroyées à Goethe, il n'en est peut-être pas qui ait plus efficacement contribué à fausser ses traits que celle "d'olympien". La vérité est que l'impassibilité fut chez lui un masque et la sérénité une conquête. Peu d'hommes eurent plus à lutter contre ces ennemis intérieurs que sont des nerfs vibrants et une sensibilité emportée vers tous les extrêmes. "Ballotté entre le ciel et l'enfer" ­ c'est ainsi qu'aux jours de sa jeunesse il se dépeint à sa confidente Auguste de Stolberg. L'âge ne le calme pas. A soixante-trois ans, il confesse que si l'idée lui venait de récrire Werther, il l'écrirait plus déchiré et plus tragique encore. C'est un vieillard de soixante-quatorze ans qui compose l'élégie de Marienbad, inspirée par l'amour pour une jeune fille de dix-neuf printemps, Ulrike de Levetzow, et toute brûlante de feu intérieur. Il nous a dit lui-même l'effort que lui a coûté la pyramide à laquelle, dans une image classique, il a comparé son existence, et c'est encore à lui-même qu'il pense quand il parle de l'énergie que requiert de l'homme la résistance à la puissance d'érosion du quotidien, la résistance au "choc infini et inlassable de la vie". Le combat contre le dehors, contre la lourde masse de "gravats et de décombres" dont la vie encombre notre route, s'est compliqué du combat qu'il eut à mener au-dedans de lui-même contre des éléments hostiles l'un à l'autre. Il est un assemblage vivant de contradictoires. Le chancelier Müller, en 1823, parle de ses "déchirements intérieurs" (innere Zerrissenheit), et sa belle-soeur Johanna Schlosser écrit à Fritz Jacobi : "Goethe ne pourra jamais être heureux, il porte en lui trop de contrastes internes." La nuit est au-dedans de lui aussi puissante que la lumière. Jean-Paul l'a appelé d'un mot admirable "l'homme le plus clair d'Europe", mais un critique allemand a pu, avec autant de justesse, voir en lui "l'homme nordique au fond méditatif et inquiet". L'équilibre grec d'Iphigénie, l'égalité de lumière bourgeoise qui baigne Hermann et Dorothée ne doivent pas nous donner le change.

« Johann Wolfgang Goethe Entre toutes les épithètes-clichés qui furent si libéralement octroyées à Goethe, il n'en est peut-être pas qui ait plus efficacement contribué à fausser ses traits que celle "d'olympien".

La vérité est que l'impassibilité fut chez lui un masque et la sérénité une conquête.

Peu d'hommes eurent plus à lutter contre ces ennemis intérieurs que sont des nerfs vibrants et une sensibilité emportée vers tous les extrêmes.

"Ballotté entre le ciel et l'enfer" c'est ainsi qu'aux jours de sa jeunesse il se dépeint à sa confidente Auguste de Stolberg.

L'âge ne le calme pas.

A soixante-trois ans, il confesse que si l'idée lui venait de récrire Werther, il l'écrirait plus déchiré et plus tragique encore.

C'est un vieillard de soixante-quatorze ans qui compose l'élégie de Marienbad, inspirée par l'amour pour une jeune fille de dixneuf printemps, Ulrike de Levetzow, et toute brûlante de feu intérieur. Il nous a dit lui-même l'effort que lui a coûté la pyramide à laquelle, dans une image classique, il a comparé son existence, et c'est encore à lui-même qu'il pense quand il parle de l'énergie que requiert de l'homme la résistance à la puissance d'érosion du quotidien, la résistance au "choc infini et inlassable de la vie".

Le combat contre le dehors, contre la lourde masse de "gravats et de décombres" dont la vie encombre notre route, s'est compliqué du combat qu'il eut à mener au-dedans de lui-même contre des éléments hostiles l'un à l'autre.

Il est un assemblage vivant de contradictoires.

Le chancelier Müller, en 1823, parle de ses "déchirements intérieurs" (innere Zerrissenheit), et sa belle-soeur Johanna Schlosser écrit à Fritz Jacobi : "Goethe ne pourra jamais être heureux, il porte en lui trop de contrastes internes." La nuit est au-dedans de lui aussi puissante que la lumière.

Jean-Paul l'a appelé d'un mot admirable "l'homme le plus clair d'Europe", mais un critique allemand a pu, avec autant de justesse, voir en lui "l'homme nordique au fond méditatif et inquiet".

L'équilibre grec d'Iphigénie, l'égalité de lumière bourgeoise qui baigne Hermann et Dorothée ne doivent pas nous donner le change. Lui-même a vu le danger et pris ses sûretés contre l'ombre.

A mesure qu'il s'avance sur sa route, nous le voyons délibérément rechercher toujours plus les régions claires.

Il a écrit sur son Faust des paroles qui éclairent à la fois la conscience du péril et le souci de l'hygiène : "Je n'ai accueilli qu'une fois ces diableries et ces magies.

J'étais tout heureux d'avoir acquitté à mon héritage nordique son tribut et de pouvoir me tourner du côté des tables de la Grèce." La raison qui lui a fait condamner chez l'Allemand l'indéfini, l'absence de contours et de forme (Formlosigkeit) lui a fait aimer dans le génie français les arêtes vives et les profils nets.

"Quel grand homme limpide que Molière !", écritil.

Au peintre Preller il donne Le Lorrain comme modèle.

Il voit dans la pente instinctive de ses compatriotes vers la méditation spéculative et l'abstraction le pire danger pour leur langue : "La spéculation philosophique fait du tort aux Allemands, elle donne à la langue qu'ils écrivent quelque chose de lâche et de diffus qu'on ne sait par quel bout saisir." "L'Allemand ne sait pas dessiner", a écrit Gide.

Voilà une condamnation contre laquelle s'inscrit tout le génie de Goethe, essentiellement et fondamentalement visuel et plastique.

La main est chez lui l'indispensable auxiliaire du cerveau et le dessin l'accompagnement naturel et automatique de la pensée.

"Nous parlons beaucoup trop, confiet-il à Falk.

Nous devrions moins parler et plus dessiner.

Pour ma part, je voudrais parvenir à me déshabituer complètement de la parole et, imitant l'activité plastique de la nature, ne plus exprimer ma pensée qu'en dessins." Que cette profession de foi plastique ne nous fasse pas conclure à un mépris des richesses de l'inconscient et de sa collaboration à la création poétique.

Celle-ci se nourrissait de sucs enfouis au plus profond de l'artiste.

Les vraies sources demeuraient cachées.

Goethe nous a appris lui-même que ses plus beaux vers de jeunesse, il les avait tracés "en somnambule", au saut du lit, d'une écriture haletante jetée en travers du premier bout de méchant papier rencontré.

Il a, pour décrire cette sûreté souveraine de l'inconscient créateur et cette demi-nuit du génie, des paroles bien remarquables : "Il faisait encore obscur en moi, confie-t-il à Eckermann.

J'avançais dans une poussée inconsciente, mais j'avais l'intuition du bon et à mon service une baguette magique qui me désignait l'endroit de l'or." Dans la même ligne de pensée et pour marquer l'indispensable rôle de l'inconscient dans la création de l'oeuvre, il dit, drôlement cette fois et un peu crûment, à Boisserée en 1816 : "Les artistes ressemblent aux parents qui ont de beaux enfants : ils les font sans savoir comment." Il ne peut être question, dans les limites de cette esquisse, d'aborder l'immense domaine des positions philosophiques et religieuses de Goethe.

Disons seulement qu'il y a grand danger à vouloir enfermer dans des formules une pensée essentiellement mobile et fluide et en perpétuelle transformation.

Il n'y a pas chez Goethe de période d'état.

La femme de Herder l'appelait, quand il avait quarante-neuf ans, un "caméléon".

Et lui-même donnait à la rapidité de sa marche dans le domaine de l'esprit cette plaisante image : "Quand les gens me croient encore à Weimar, je suis déjà à Erfurt." Il pensait que cette aisance à se transformer est une condition de richesse et que l'homme n'échappait qu'en abandonnant sur la route les "peaux" de ses "mues" successives au pire danger qui le menace : la sclérose.

Cette mobilité, cette disponibilité toujours en éveil, il les a gardées jusqu'au bout de la route : "Ai-je atteint l'âge de quatre-vingts ans pour penser toujours la même chose ? Mon effort est bien plutôt de penser tous les jours quelque chose de neuf.

Il faut constamment se transformer, se renouveler si l'on ne veut pas s'ankyloser." Il a toujours eu en grande défiance les dogmatismes péremptoires et les dialectiques trop sûres d'elles-mêmes.

Les. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles