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Jean de LA FONTAINE (1621-1695) (Recueil : Les Fables) - Le Rat qui s'est retiré du monde

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Jean de LA FONTAINE (1621-1695) (Recueil : Les Fables) - Le Rat qui s'est retiré du monde Les Levantins en leur légende Disent qu'un certain Rat las des soins d'ici-bas, Dans un fromage de Hollande Se retira loin du tracas. La solitude était profonde, S'étendant partout à la ronde. Notre ermite nouveau subsistait là-dedans. Il fit tant de pieds et de dents Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ? Il devint gros et gras ; Dieu prodigue ses biens A ceux qui font voeu d'être siens. Un jour, au dévot personnage Des députés du peuple Rat S'en vinrent demander quelque aumône légère : Ils allaient en terre étrangère Chercher quelque secours contre le peuple chat ; Ratopolis était bloquée : On les avait contraints de partir sans argent, Attendu l'état indigent De la République attaquée. Ils demandaient fort peu, certains que le secours Serait prêt dans quatre ou cinq jours. Mes amis, dit le Solitaire, Les choses d'ici-bas ne me regardent plus : En quoi peut un pauvre Reclus Vous assister ? que peut-il faire, Que de prier le Ciel qu'il vous aide en ceci ? J'espère qu'il aura de vous quelque souci. Ayant parlé de cette sorte. Le nouveau Saint ferma sa porte. Qui désignai-je, à votre avis, Par ce Rat si peu secourable ? Un Moine ? Non, mais un Dervis : Je suppose qu'un Moine est toujours charitable.

« Introduction Cette fable semble bien avoir été inspirée par un fait d'actualité.

Le clergé régulier avait protesté contre une forte imposition dont on voulait le charger, alléguant « qu'il ne devait au roi que ses prières, comme la noblesse son sang ».

En écho à cet événement, la verve satirique de La Fontaine s'exerce à l'égard du rat dont l'égoïsme hypocrite s'interdit le moindre geste généreux, à l'égard de ses frères de race.

Elle s'annonce d'une manière suggestive dans le récit qui constitue la première partie de la fable.

Elle s'accuse dans la seconde partie où s'affrontent en un dialogue savoureux le rat et ses visiteurs.

Elle se cristallise enfin, sous la forme ironique dans la moralité. 1.

La verve satirique dans le récit La verve satirique de La Fontaine se révèle au début de la fable.

Sa malice se plaît à dépayser le lecteur, à situer son récit et son personnage dans quelque lointain pays d'Orient.

Mieux encore, pour paraître authentifier ce cadre fantaisiste il s'attache à citer ses sources prétendues dès les premiers mots : « Les Levantins en leur légende Disent...

»; et si l'on songe au sens précis du mot « légende », recueil édifiant de la Vie de Saints, on voit sur-lechamp dans quel sens et sur quelle matière va s'exercer la malice du poète.

Le choix des mots est lui aussi très significatif.

Il est emprunté à dessein au vocabulaire religieux.

« Las des soins d'ici-bas », le rat va chercher la paix en quelque « retraite ».

Ce sont là au moins ses intentions affichées dont certains détails s'empressent de nous dissuader.

C'est le souci de sa tranquillité béate qui l'anime.

Il se met à l'abri « loin du tracas ».

Quant au choix inattendu du fromage de Hollande, il ajoute une note burlesque soulignée encore par l'inversion et qui contribue à ne pas nous faire prendre le rat au sérieux.

« Dans un fromage de Hollande, Se retira loin du tracas.

» Voilà que se dessine donc, sur le ton de la raillerie, le portrait du parfait hypocrite de religion.

Et c'est bien ce que confirme la suite du développement et les explications qu'il donne, sur un ton benoît, pour masquer son goût du confort et l'aspect de prospérité insolente de sa personne, un peu gênant pour un ascète.

A chaque constatation de fait se trouve malignement accolée une justification de mauvais aloi.

Ainsi son embonpoint est une grâce du ciel : « Il devint gros et gras : Dieu prodigue ses biens A ceux qui font vœu d'être siens.

» 2.

La verve satirique dans le dialogue La seconde partie marque une progression sur la première.

La verve satirique de La Fontaine y trouve dans l'emploi du dialogue une occasion encore plus favorable de se manifester.

Pourtant il se dissimule derrière ses personnages et semble seulement les écouter parler.

A vrai dire cette verve n'apparaît pas directement dans les propos des députés du peuple rat.

Mais par l'humble discrétion, l'urgence et le pathétique de leur requête, elle soulignera l'absence totale de charité du rat sourd aux appels les plus émouvants.

Notons d'abord que leurs propos sont rapportés au style indirect.

En l'utilisant, il semble que le poète ait voulu nous souligner leur gêne, leur ton de respect, la manière dont ils insinuent plutôt qu'ils n'expriment les motifs de leur visite.

Les membres de phrase sont juxtaposés et chacun s'achève sur une ponctuation forte (;).

On dirait que dans leur émotion ils ont besoin à chaque fois de reprendre haleine.

Et comme un dialogue expressif nous suggère les réactions de l'interlocuteur, on sent qu'à chaque pause ils attendent un mot d'encouragement, un assentiment du saint personnage.

Devant son silence, son attitude glaciale, ils reprennent sous une forme encore plus mesurée leur appel.

Tout à l'heure ils demandaient « quelque aumône légère ».

A présent ils demandent « fort peu », et laissent entendre qu'ils n'auront pas besoin de solliciter une aide nouvelle. «...

certains que le secours Serait prêt dans quatre ou cinq jours.

» Peine perdue.

La réponse du rat, comme on pouvait s'y attendre, est une fin de non-recevoir.

Mais dans la forme qu'il lui donne, La Fontaine met en valeur d'une manière discrètement caricaturale l'hypocrisie du personnage.

Elle s'annonce dès le début dans l'onction un peu solennelle et la gratuité des mots placés en tête : « Mes amis ».

Elle est soulignée par la constatation de son impuissance.

Encore ne s'agit-il pas d'une affirmation.

Les deux phrases sont des interrogations oratoires, faites pour amener les auditeurs à convenir avec lui d'une évidence.

Le ton onctueux se poursuit donc et le rythme uniforme du dernier vers plus long (un alexandrin succédant à des octosyllabes) avec ses accents à peine perceptibles, son allure chuchotée, le confirme encore : « En quoi peut un pauvre reclus Vous assister? Que peut-il faire Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci ! » 3.

La moralité La note satirique se poursuit et s'accuse encore dans la « moralité ».

D'abord en raison de son contenu insolite.

Le plus souvent, en accord avec la tradition, les derniers vers de la fable tirent une leçon de morale pratique du récit qui précède.

Nous n'en trouvons pas trace ici.

La leçon est remplacée par une énigme posée par le fabuliste.

Sans doute vaudrait-il même mieux parler de devinette plutôt que d'énigme, car avec cet appel direct à son lecteur (« à votre avis »), avec cette solution proposée d'un mot et sur-le-champ abandonnée (« un moine? non ») le ton en est familier et détendu.

Et la raillerie s'impose plus nettement encore dans le trait final. « Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

» L'emploi du verbe est significatif.

Pour croire à la charité d'un moine, peut-être est-il prudent, à en croire La Fontaine, de s'en rapporter à son imagination plutôt qu'à son expérience. Conclusion Le rat qui s'est retiré du monde offre donc un excellent exemple de l'esprit satirique de La Fontaine.

S'inspirant d'un fait d'actualité qu'il transpose dans la fantaisie de la fable et dans les lointains d'un cadre exotique, sur la véracité duquel il ne se soucie guère de faire illusion, il n'en est que plus à l'aise pour esquisser la caricature amusante et féroce de l'hypocrite de religion.

Par bien des traits son personnage s'apparente au Tartuffe de Molière.

Il en possède l'aspect de prospérité presque insolente, le ton benoît et onctueux, l'égoïsme profond.. »

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