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Frederic Brown, En Sentinelle, 1958.

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Frederic Brown, En Sentinelle, 1958. Il était trempé et tout boueux, il avait faim et il était gelé, et il était à cinquante mille années-lumière de chez lui. La lumière venait d'un étrange soleil bleu, et la pesanteur, double de celle qui lui était coutumière, lui rendait pénible le moindre mouvement. Mais depuis plusieurs dizaines de milliers d'années, la guerre s'était, dans cette partie de l'univers, figée en guerre de position. Les pilotes avaient la vie belle, dans leurs beaux astronefs, avec leurs armes toujours plus perfectionnées. Mais dès qu'on arrive aux choses sérieuses, c'est encore aux fantassins, à la piétaille, que revient la tâche de prendre des positions et de les défendre pied à pied. Cette saloperie de planète dont il n'avait jamais entendu parler avant qu'on l'y dépose, voilà qu'elle devenait un « sol sacré », parce que « les autres » y étaient aussi. Les Autres, c'est-à-dire la seule race douée de raison dans toute la Galaxie... des êtres monstrueux, cruels, hideux, ignobles. Le premier contact avec eux avait été établi alors qu'on en était aux difficultés de la colonisation des douze mille planètes déjà conquises. Et dès le premier contact, les hostilités avaient éclaté : les Autres avaient ouvert le feu sans chercher à négocier ou à envisager des relations pacifiques. Et maintenant, comme autant d'îlots dans l'océan du Cosmos, chaque planète était l'enjeu de combats féroces et acharnés. Il était trempé et tout boueux, il avait faim et il était gelé, et un vent féroce lui glaçait les yeux. Mais les Autres étaient en train de tenter une manoeuvre d'infiltration, et la moindre position tenue par une sentinelle devenait un élément vital du dispositif d'ensemble. Il restait donc en alerte, le doigt sur la détente. A cinquante mille années-lumière de chez lui, il faisait la guerre dans un monde étranger, en se demandant s'il reverrait jamais son foyer. Et c'est alors qu'il vit un Autre s'approcher de lui, en rampant. Il tira une rafale. L'Autre fit ce bruit affreux et étrange qu'ils font tous en mourant, et s'immobilisa. Il frissonna en entendant ce râle, et la vue de l'Autre le fit frissonner encore plus. On devrait pourtant en prendre l'habitude, à force d'en voir - mais jamais il n'y était arrivé. C'étaient des êtres vraiment trop répugnants, avec deux bras seulement et deux jambes, et une peau d'un blanc écœurant, nue et sans écailles.

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