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François FABIÉ (1846-1928) (Recueil : Fleurs de genêts) - Voix éteinte

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François FABIÉ (1846-1928) (Recueil : Fleurs de genêts) - Voix éteinte Elle perdit d'abord et par degrés sa voix Qu'elle avait chaude et grave, émue et pénétrante Comme la voix du loriot au fond des bois... En l'écoutant chanter pour ses amis, parfois, Même quand nul encor ne la savait souffrante, Je me sentis le coeur traversé du soupçon Qu'elle leur donnait trop de son âme vibrante, Que son air s'achevait en un furtif frisson, Et que le luth un jour plierait sous la chanson. Et soudain, confirmant et dépassant mes craintes, Un mal lâche et sournois la saisit au gosier, Comme pour empêcher ses plaintes, Et l'étouffa sous ses étreintes Tel un serpent un rossignol dans un rosier... Oh ! qninze mois entiers l'angoissante torture D'entendre s'enrouer, tousser, tousser encor, Tousser d'une toux rauque et suffocante et dure La gorge d'où longtemps avaient pris leur essor Tant de beaux chants à l'aile d'or ! Chaque matin sentir plus sourde sa parole, Et ses efforts plus grands, plus vains, plus anxieux Pour l'appel qui supplie ou le mot qui console La pauvre mère qui s'affole... Puis ne plus rien entendre d'Elle - que ses yeux ! La douce enfant, si bien douée et si peu fière De tous ses autres dons, aimait pourtant celui Par qui son âme tout entière S'unissait à l'âme d'autrui : Elle pleurait sa voix d'amour et de lumière, Sans se douter encor que la Mort la voulait Toute, et qu'avec sa voix son âme s'en allait... Ô chère voix qui ne vis plus qu'en notre oreille ; Voix qui faisais jadis notre maison pareille A la ruche joyeuse et vibrante sans fin ; Voix tendre et si prenante, archet vraiment divin Qui passais sur les coeurs, et jamais, ô merveille, Ne les sollicitais en vain ; Maintenant que dans l'air tu t'es évanouie, Perdue, - ou bien plutôt, puisque rien ne se perd, Très loin, très loin de nous à tout jamais enfuie, Sans doute entrée au vaste et sublime concert Où pour l'éternité Dieu fait ses symphonies Avec toutes nos voix dans son amour unies, - Ma voix de vieux poète aux destins révolus Gémira sur le tien, mais ne chantera plus.

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