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François de MALHERBE (1555-1628) - Consolation à Caritée, sur la mort de son mari

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François de MALHERBE (1555-1628) - Consolation à Caritée, sur la mort de son mari Ainsi quand Mausole fut mort Artémise accusa le sort : De pleurs se noya le visage : Et dit aux astres innocents Tout ce que fait dire la rage, Quand elle est maîtresse des sens. Ainsi fut sourde au réconfort, Quand elle eut trouvé dans le port La perte qu'elle avait songée, Celle de qui les passions Firent voir à la mer Egée Le premier nid des Alcyons. Vous n'êtes seule en ce tourment Qui témoignez du sentiment, O trop fidèle Caritée : En toutes âmes l'amitié De mêmes ennuis agitée Fait les mêmes traits de pitié. De combien de jeunes maris En la querelle de Pâris Tomba la vie entre les armes, Qui fussent retournés un jour, Si la mort se payait de larmes, A Mycènes faire l'amour. Mais le destin qui fait nos lois, Est jaloux qu'on passe deux fois Au-deçà du rivage blême : Et les dieux ont gardé ce don Si rare, que Jupiter même Ne le sut faire à Sarpedon. Pourquoi donc si peu sagement Démentant votre jugement Passez-vous en cette amertume, Le meilleur de votre saison, Aimant mieux plaindre par coutume Que vous consoler par raison ? Nature fait bien quelque effort, Qu'on ne peut condamner qu'à tort, Mais que direz-vous pour défendre Ce prodige de cruauté, Par qui vous semblez entreprendre De ruiner votre beauté ? Que vous ont fait ces beaux cheveux, Dignes objets de tant de voeux, Pour endurer votre colère ? Et devenus vos ennemis Recevoir l'injuste salaire D'un crime qu'ils n'ont point commis ? Quelles aimables qualités En celui que vous regrettez, Ont pu mériter qu'à vos roses Vous ôtiez leur vive couleur, Et livriez de si belles choses A la merci de la douleur ? Remettez-vous l'âme en repos, Changez ces funestes propos : Et par la fin de vos tempêtes, Obligeant tous les beaux esprits, Conservez au siècle où vous êtes, Ce que vous lui donnez de prix. Amour autrefois en vos yeux Plein d'appas si délicieux, Devient mélancolique et sombre, Quand il voit qu'un si long ennui, Vous fait consumer pour un ombre, Ce que vous n'avez que pour lui. S'il vous ressouvient du pouvoir Que ses traits vous ont fait avoir, Quand vos lumières étaient calmes, Permettez-lui de vous guérir Et ne différez point les palmes, Qu'il brûle de vous acquérir. Le temps d'un insensible cours Nous porte à la fin de nos jours : C'est à notre sage conduite, Sans murmurer de ce défaut, De nous consoler de sa fuite En le ménageant comme il faut.

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