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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les villes tentaculaires) - Une statue (1)

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les villes tentaculaires) - Une statue (1) On le croyait fondateur de la ville, Venu de pays clairs et lointains, Avec sa crosse entre les mains, Et, sur son corps, une bure servile. Pour se faire écouter il parlait par miracles, En des clairières d'or, le soir, dans les forêts, Où Loge et Thor carraient leurs symboles épais Et tonnaient leurs oracles. Il était la tristesse et la douceur Descendue autrefois, à genoux, du calvaire, Vers les hommes et leur misère Et vers leur coeur. Il accueillait l'humanité fragile Il lui chantait le paradis sans fin Et l'endormait dans un rêve divin, Le front posé sur l'évangile. Plus tard, le roi, le juge, et le bourreau Prirent son verbe et le faussèrent Et les textes autoritaires Apparurent, tels des glaives, hors du fourreau. Contre la paix qu'il avait inclinée Vers tous, de son geste clément, La vie, avec des cris et des sursauts déments, Brusque et rouge, fut dégainée. Mais lui resta le clair apôtre au front vermeil, Aux yeux remplis de patience et d'indulgence, Et la pieuse et populaire intelligence Puisait auprès de lui la force et le conseil. On l'invoquait pour les fièvres et pour les peines, On le fêtait en mai, au soir tombant, Et les mères et les vieillards et les enfants Venaient baigner leurs maux dans l'eau de sa fontaine. Son nom large et sonore d'amour Marquait la fin des longues litanies Et des complaintes infinies Que l'on chantait, depuis toujours. Il se perpétuait, près d'un portail roman, En une image usée et tremblotante, Qui écoutait, dans la poitrine Haletante des tours, Les bourdons lourds clamer au firmament.

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