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Edmond Rostand : Cyrano de Bergerac (1897), acte V, scène 5.

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Edmond Rostand : Cyrano de Bergerac (1897), acte V, scène 5. [Cyrano, près de mourir et depuis toujours amoureux, vient rendre visite à Roxane, dont le jeune époux Christian est mort il y a des années à la guerre après lui avoir écrit une lettre bouleversante.] ROXANE, debout près de lui : Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne. Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne, (Elle met la main sur sa poitrine.) Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant Où l'on peut voir encor des larmes et du sang ! (Le crépuscule commence à venir.) CYRANO : Sa lettre !... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être, Vous me la feriez lire ? ROXANE : Ah ! vous voulez ?... Sa lettre ? CYRANO : Oui... Je veux... Aujourd'hui... ROXANE, lui donnant le sachet pendu à son cou : Tenez ! CYRANO, le prenant : Je peux ouvrir ? ROXANE : Ouvrez... lisez !... (Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.) CYRANO, lisant : « Roxane, adieu, je vais mourir !...» ROXANE, s'arrêtant, étonnée : Tout haut ? CYRANO, lisant : « C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée ! « J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée, « Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés, « Mes regards dont c'était...» ROXANE : Comme vous la lisez, Sa lettre ! CYRANO, continuant : «...dont c'était les frémissantes fêtes, « Ne baiseront au vol les gestes que vous faites. « J'en revois un petit qui vous est familier « Pour toucher votre front, et je voudrais crier...» ROXANE, troublée : Comme vous la lisez, -- cette lettre ! (La nuit vient insensiblement.) CYRANO : « Et je crie « Adieu !...» ROXANE : Vous la lisez... CYRANO : « Ma chère, ma chérie, « Mon trésor...» ROXANE, rêveuse : D'une voix... CYRANO : « Mon amour...» ROXANE : D'une voix... (Elle tressaille.) Mais... que je n'entends pas pour la première fois ! (Elle s'approche tout doucement, sans qu'il s'en aperçoive, passe derrière le fauteuil se penche sans bruit, regarde la lettre. -- L'ombre augmente.) CYRANO : « Mon coeur ne vous quitta jamais une seconde, « Et je suis et serai jusque dans l'autre monde « Celui qui vous aima sans mesure, celui...» ROXANE, lui posant la main sur l'épaule : Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit. (Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste d'effroi, baisse la tête. Un long silence. Puis, dans l'ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains.) Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle D'être le vieil ami qui vient pour être drôle ! CYRANO : Roxane ! ROXANE : C'était vous. CYRANO : Non, non, Roxane, non ! ROXANE : J'aurais dû deviner quand il disait mon nom ! CYRANO : Non ! ce n'était pas moi ! ROXANE : C'était vous ! CYRANO : Je vous jure... ROXANE : J'aperçois toute la généreuse imposture Les lettres, c'était vous...

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