Commentez cette affirmation de M. Bloch-Michel rapportée par J.-P. Sartre dans « qu'est-ce que la littérature? » : « II faut moins de vertu dans les grandes circonstances que dans les petites »
Extrait du document
«
INTRODUCTION
L'histoire et la littérature nous présentent un certain nombre de personnages exemplaires qui se sont illustrés par des actions héroïques dans des
situations exceptionnelles.
Ces êtres nous offrent de l'espèce humaine une image pleine de noblesse.
Mais l'humanité ne doit-elle susciter notre admiration
que dans des cas aussi particuliers ? C'est ce que contestait M.
Bloch-Michel lorsqu'il écrivait : « II faut moins de vertu dans les grandes circonstances
que dans les petites ».
A quelle sorte de vertu les destinées extraordinaires font-elles appel ? Comment être vertueux dans les petites circonstances ?
I.
LES GRANDS EXEMPLES DE VERTU
Une humanité au-dessus de la moyenne
II n'est pas donné à tous les hommes de devenir des modèles de grande vertu.
Andromaque, Roland, Jeanne d'Arc ou Rodrigue étaient dotés d'une nature
différente de celle du commun des mortels.
Cela est si vrai que ces personnages appartiennent pour nous à un autre univers, celui de la légende qui estompe
les aspects de leur vie historique réelle.
C ette remarque s'appliquerait tout aussi bien à des exemples plus récents — Jean Moulin, héros de la résistance ou
John Kennedy nous paraissent bien appartenir à cette même catégorie d'êtres humains exceptionnels.
Des qualités psychologiques
La vertu mise en oeuvre par ces grands personnages est fondée essentiellement sur une force de caractère assez peu commune.
C 'est ce que
Vauvenargues appelait la « grandeur d'âme ».
Leur courage ne peut se concevoir sans une volonté énergique.
Jeanne d'Arc ou Rodrigue sont des meneurs
d'hommes, capables de susciter chez les autres des élans d'audace.
Nous songeons à ce propos à la contagion qui s'empare des soldats au début de la
fameuse bataille contre les Maures : « Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port
Tant à nous voir marcher avec un tel visage
Les plus épouvantés reprenaient leur courage ! »
Cette ardeur rayonnante est bien ce que les anciens nommaient
la vertu.
Elle suscite l'admiration.
Des circonstances exceptionnelles
Mais une telle force d'âme est le plus souvent commandée par une situation très particulière.
Celle d'Andromaque ou celle d'Iphigénie ne sont pas banales.
Faut-il être la veuve d'un héros vaincu ou la fille d'un roi, choisie comme otage par les dieux eux-mêmes, pour atteindre cette grandeur ? On sait quelle
douloureuse nostalgie la période de la Révolution et celle de l'épopée napoléonienne ont laissée dans les coeurs des générations romantiques.
V igny a
gardé presque toute sa vie le sentiment de la pauvreté de son époque sur ce plan ; les héros de Stendhal ont leur esprit sans cesse tourné vers un passé
prestigieux.
La pratique de la vertu dans de telles conditions doit être considérée comme inaccessible à la plupart des hommes.
II.
LES LIMITES DE CETTE VERTU
Mais la conception de la vertu que nous venons de définir est-elle vraiment méritoire ?
La force d'âme imposée par les grandes circonstances n'engage pas nécessairement une supériorité morale de l'individu.
Les facultés sur lesquelles elle
repose sont essentiellement, nous l'avons vu, d'ordre psychologique.
Elles semblent exclure bien souvent la sensibilité.
La vertu d'Horace n'hésitant pas à
tuer sa soeur parce que les circonstances le lui imposent doit-elle garder pour nous une valeur exemplaire ?
La même énergie peut être mise au service du mal
La volonté et l'audace peuvent aussi être utilisées pour le triomphe du mal.
Le roi Ferrante consacre une énergie lucide au crime dans La Reine Morte de
Montherlant :
« Acte inutile, acte funeste, s'écrie-t-il.
Mais ma volonté
m'aspire, et je commets la faute sachant que c'en est une.
»
Ainsi la volonté de puissance des héros nietzschéens est, elle aussi, toute proche de cette énergie exigée par les grandes circonstances.
Une vertu impure
Le courage des figures exceptionnelles que nous évoquions précédemment s'accompagne souvent d'orgueil.
On peut toujours avancer que la recherche de
la gloire est fondamentale dans ce type de comportement.
Il y a peu de distance sur ce plan entre Rodrigue et Julien Sorel ou Rastignac.
Ainsi la vertu mise
en oeuvre dans les grandes actions semble condamnée à une alternative qui, à la limite, risque de la détruire : ou bien elle se ramène à l'expression d'un
individualisme excessif, ou bien elle procède tellement des circonstances qu'elle n'appartient plus vraiment au héros.
III.
LA VERTU DANS LES PETITES CIRCONSTANCES
Elle fait appel à des qualités morales plus profondes
II semble bien alors que le caractère exceptionnel des situations dans lesquelles elle s'exerce soit plutôt un obstacle à la vertu authentique.
Les difficultés
d'une existence banale surmontées grâce à une persévérance obstinée, un effort vigilant de compréhension, une modeste abnégation, font appel à une vertu
plus louable.
« II semble, écrivait déjà La Bruyère, que le héros est d'un seul métier, qui est celui de la guerre, et que le grand homme est de tous les métiers...
: l'un et
l'autre mis ensemble ne pèsent pas un homme de bien.
»
La vertu n'est pas seulement l'affaire des êtres d'exception
Certaines oeuvres littéraires nous peignent des personnages humbles exerçant leur vertu dans des circonstances banales.
Eugénie Grandet chez Balzac, la
vieille servante de Flaubert dans la nouvelle Un coeur simple ou la mère des enfants Pasquier dans la chronique de Duhamel mènent des existences
courageuses faites d'un dévouement obscur mais constant.
Alors que les héros dont nous parlions plus haut doivent souvent leur belle réputation à un nombre d'actions très limité, ceux-là appliquent leur force morale
durant une vie entière.
L'observation de son milieu de vie peut fournir à chacun de nous de multiples aspects de ce courage, allant de l'éducation d'un enfant
infirme par exemple à la simple conscience professionnelle.
CONCLUSION
Cette comparaison des diverses circonstances où peut se manifester la grandeur d'âme ne prétend pas ôter leur prestige aux grandes actions.
Elle a
seulement le mérite de les situer honnêtement en face des attitudes exigées par la vie quotidienne.
Elle dégage la vie morale d'un certain romantisme
désuet et pourrait fonder une éthique de la noblesse dans l'humilité, accessible à tous en toutes occasions..
»
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