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Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte II, scène 24, 25, 26

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Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte II, scène 24, 25, 26 Scène 24 SUZANNE, LA COMTESSE. LA COMTESSE, dans sa bergère: Vous voyez, Suzanne, la jolie scène que votre étourdi m'a value avec son billet. SUZANNE: Ah! Madame, quand je suis rentrée du cabinet, si vous aviez vu votre visage! il s'est terni tout à coup; mais ce n'a été qu'un nuage; et par degrés, vous êtes devenue rouge, rouge, rouge! LA COMTESSE: Il a donc sauté par la fenêtre? SUZANNE: Sans hésiter, le charmant enfant! léger... comme une abeille. LA COMTESSE: Ah! ce fatal jardinier! Tout cela m'a remuée au point... que je ne pouvais rassembler deux idées. SUZANNE: Ah! Madame, au contraire; et c'est là que j'ai vu combien l'usage du grand monde donne d'aisance aux dames comme il faut, pour mentir sans qu'il y paraisse. LA COMTESSE: Crois-tu que le Comte en soit la dupe? et s'il trouvait cet enfant au château! SUZANNE: Je vais recommander de le cacher si bien... LA COMTESSE: Il faut qu'il parte. Après ce qui vient d'arriver, vous croyez bien que je ne suis pas tentée de l'envoyer au jardin à votre place. SUZANNE: Il est certain que je n'irai pas non plus. Voilà donc mon mariage encore une fois... LA COMTESSE se lève: Attends... Au lieu d'un autre, ou de toi, si j'y allais moi-même? SUZANNE: Vous, Madame? LA COMTESSE: Il n'y aurait personne d'exposé... Le Comte alors ne pourrait nier... Avoir puni sa jalousie, et lui prouver son infidélité! cela serait... Allons: le bonheur d'un premier hasard m'enhardit à tenter le second. Fais-lui savoir promptement que tu te rendras au jardin. Mais surtout que personne... SUZANNE: Ah! Figaro. LA COMTESSE: Non, non. Il voudrait mettre ici du sien... Mon masque de velours, et ma canne; que j'aille y rêver sur la terrasse. Suzanne entre dans le cabinet de toilette. Scène 25 LA COMTESSE, seule. Il est assez effronté mon petit projet! (Elle se retourne.) Ah! le ruban! mon joli ruban! je t'oubliais! (Elle le prend sur sa bergère et le roule.) Tu ne me quitteras plus... tu me rappelleras la scène où ce malheureux enfant... Ah! Monsieur le Comte, qu'avez-vous fait?... Et moi! que fais-je en ce moment? Scène 26 LA COMTESSE, SUZANNE. La Comtesse met furtivement le ruban dans son sein. SUZANNE: Voici la canne et votre loup. LA COMTESSE: Souviens-toi que je t'ai défendu d'en dire un mot à Figaro. SUZANNE, avec joie: Madame, il est charmant votre projet. Je viens d'y réfléchir. Il rapproche tout, termine tout, embrasse tout; et quelque chose qui arrive, mon mariage est maintenant certain. Elle baise la main de sa maîtresse. Elles sortent.. *** Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte III, scène 5. LE COMTE, FIGARO LE COMTE: Les domestiques ici... sont plus longs à s'habiller que les maîtres! FIGARO: C'est qu'ils n'ont point de valets pour les y aider. LE COMTE: ... Je n'ai pas trop compris ce qui vous avait forcé tantôt de courir un danger inutile, en vous jetant... FIGARO: Un danger! on dirait que je me suis engouffré tout vivant... LE COMTE: Essayez de me donner le change en feignant de le prendre, insidieux valet! vous entendez fort bien que ce n'est pas le danger qui m'inquiète, mais le motif FIGARO: Sur un faux avis, vous arrivez furieux, renversant tout, comme le torrent de la Morena; vous cherchez un homme, il vous le faut, ou vous allez briser les portes, enfoncer les cloisons! je me trouve là par hasard, qui sait dans votre emportement si... LE COMTE, interrompant: Vous pouviez fuir par l'escalier. FIGARO: Et vous, me prendre au corridor. LE COMTE en colère: Au corridor! (A part.) Je m'emporte, et nuis à ce que je veux savoir. FIGARO, à part: Voyons-le venir, et jouons serré. LE COMTE, radouci: Ce n'est pas ce que je voulais dire, laissons cela. J'avais... oui, j'avais quelque envie de t'emmener à Londres, courrier de dépêches... mais toutes réflexions faites... FIGARO: Monseigneur a changé d'avis? LE COMTE: Premièrement, tu ne sais pas l'anglais. FIGARO: Je sais God-dam. LE COMTE: Je n'entends pas. FIGARO: Je dis que je sais God-dam. LE COMTE: Eh bien? FIGARO: Diable! c'est une belle langue que l'anglais il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. Voulez-vous tâter d'un bon poulet gras? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche.) Goddam! on vous apporte un pied de boeuf salé sans pain. C'est admirable! Aimez-vous à boire un coup d'excellent bourgogne ou de clairet? rien que celui-ci. (Il débouche une bouteille.) God-dam! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes, qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah! God-dam! elle vous sangle un soufflet de crocheteur. Preuve qu'elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là quelques autres mots en conversant; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue; et si Monseigneur n'a pas d'autre motif de me laisser en Espagne... LE COMTE, à part: Il veut venir à Londres; elle n'a pas parlé. FIGARO, à part: Il croit que je ne sais rien; travaillons-le un peu, dans son genre. LE COMTE: Quel motif avait la Comtesse, pour me jouer un pareil tour? FIGARO: Ma foi, Monseigneur, vous le savez mieux que moi. LE COMTE: Je la préviens sur tout, et la comble de présents. FIGARO: Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu, à qui nous prive du nécessaire? LE COMTE: ... Autrefois tu me disais tout. FIGARO: Et maintenant je ne vous cache rien. LE COMTE: Combien la Comtesse t'a-t-elle donné pour cette belle association? FIGARO: Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur? Tenez, Monseigneur, n'humilions pas l'homme qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet. LE COMTE: Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais? FIGARO: C'est qu'on en voit partout quand on cherche des torts. LE COMTE: Une réputation détestable! FIGARO: Et si je vaux mieux qu'elle? y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant? LE COMTE: Cent fois je t'ai vu marcher à la fortune et jamais aller droit. FIGARO: Comment voulez-vous? la foule est là: chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut; le reste est écrasé. Aussi c'est fait; pour moi j'y renonce. LE COMTE: A la fortune? (A part.) Voici du neuf. FIGARO (A part.): À mon tour maintenant. (Haut.) Votre Excellence m'a gratifié de la conciergerie du château; c'est un fort joli sort; à la vérité je ne serai pas le courrier étrenné des nouvelles intéressantes; mais en revanche, heureux avec ma femme au fond de l'Andalousie... LE COMTE: Qui t'empêcherait de l'emmener à Londres? FIGARO: Il faudrait la quitter si souvent que j'aurais bientôt du mariage par-dessus la tête. LE COMTE: Avec du caractère et de l'esprit, tu pourrais un jour t'avancer dans les bureaux. FIGARO: De l'esprit pour s'avancer? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant; et l'on arrive à tout. LE COMTE: ... Il ne faudrait qu'étudier un peu sous moi la politique. FIGARO: Je la sais. LE COMTE: Comme l'anglais, le fond de la langue! FIGARO: Oui, s'il y avait de quoi se vanter. Mais, feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore, d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend, surtout de pouvoir au-delà de ses forces; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point; s'enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage; répandre des espions et pensionner des traîtres; amollir des cachets; intercepter des lettres; et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets. Voilà toute la politique, ou je meure!

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