André Gide, La Symphonie pastorale, premier cahier.
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André Gide, La Symphonie pastorale, premier cahier.
27 février
La neige est tombée encore abondamment cette nuit. Les enfants sont ravis parce que bientôt, disent-ils, on sera forcé de sortir par les fenêtres. Le fait est que ce matin la porte est bloquée et que l'on ne peut sortir que par la buanderie. Hier, je m'étais assuré que le village avait des provisions en suffisance, car nous allons sans doute demeurer quelque temps isolés du reste de l'humanité. Ce n'est pas le premier hiver que la neige nous bloque, mais je ne me souviens pas d'avoir jamais vu son empêchement si épais. J'en profite pour continuer ce récit que je commençai hier.
J'ai dit que je ne m'étais point trop demandé, lorsque j'avais ramené cette infirme, quelle place elle allait pouvoir occuper dans la maison. Je connaissais le peu de résistance de ma femme ; je savais la place dont nous pouvions disposer et nos ressources, très limitées. J'avais agi, comme je le fais toujours, autant par disposition naturelle que par principes, sans nullement chercher à calculer la dépense où mon élan risquait de m'entraîner (ce qui m'a toujours paru antiévangélique). Mais autre chose est d'avoir à se reposer sur Dieu ou à se décharger sur autrui. Il m'apparut bientôt que j'avais déposé sur les bras d'Amélie une lourde tâche, si lourde que j'en demeurai d'abord confondu.
Je l'avais aidée de mon mieux à couper les cheveux de la petite, ce que je voyais bien qu'elle ne faisait déjà qu'avec dégoût. Mais quand il s'agit de la laver et de la nettoyer je dus laisser faire ma femme ; et je compris que les plus lourds et les plus désagréables soins m'échappaient.
Au demeurant, Amélie n'éleva plus la moindre protestation. Il semblait qu'elle eût réfléchi pendant la nuit et pris son parti de cette charge nouvelle ; même elle y semblait prendre quelque plaisir et je la vis sourire après qu'elle eût achevé d'apprêter Gertrude. Un bonnet blanc couvrait la tête rase où j'avais appliqué de la pommade ; quelques anciens vêtements à Sarah et du linge propre remplacèrent les sordides haillons qu'Amélie venait de jeter au feu. Ce nom de Gertrude fut choisi par Charlotte et accepté par nous tous aussitôt, dans l'ignorance du nom véritable que l'orpheline ne connaissait point elle-même et que je ne savais où retrouver. Elle devait être un peu plus jeune que Sarah, de sorte que les vêtements que celle-ci avait dû laisser depuis un an lui convenaient.
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