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André Gide, La Symphonie pastorale, premier cahier.

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André Gide, La Symphonie pastorale, premier cahier. Je reviens en arrière; car hier je m'étais laissé entraîner. Pour l'enseigner à Gertrude j'avais dû apprendre moi-même l'alphabet des aveugles ; mais bientôt elle devint beaucoup plus habile que moi à lire cette écriture où j 'avais assez de peine à me reconnaître, et qu'au surplus, je suivais plus volontiers avec les yeux qu'avec les mains. Du reste, je ne fus point le seul à l'instruire. Et d'abord je fus heureux d'être secondé dans ce soin, car j'ai fort à faire sur la commune, dont les maisons sont dispersées à l'excès de sorte que mes visites de pauvres et de malades m'obligent à des courses parfois assez lointaines. Jacques avait trouvé le moyen de se casser le bras en patinant pendant les vacances de Noël qu'il était venu passer près de nous – car entre temps il était retourné à Lausanne où il avait fait déjà ses premières études, et entré à la Faculté de théologie. La fracture ne présentait aucune gravité et Martins que j'avais aussitôt appelé put aisément la réduire sans l'aide d'un chirurgien ; mais les précautions qu'il fallut prendre obligèrent Jacques à garder la maison quelque temps. Il commença brusquement de s'intéresser à Gertrude, que jusqu'alors il n'avait point considérée, et s'occupa de m'aider à lui apprendre à lire. Sa collaboration ne dura que le temps de sa convalescence, trois semaines environ, mais durant lesquelles Gertrude fit de sensibles progrès. Un zèle extraordinaire la stimulait à présent. Cette intelligence hier encore engourdie, il semblait que, dès les premiers pas et presque avant de savoir marcher, elle se mettait à courir. J'admire le peu de difficulté qu'elle trouvait à formuler ses pensées, et combien promptement elle parvint à s'exprimer d'une manière, non point enfantine, mais correcte déjà, s'aidant pour imager l'idée, et de la manière la plus inattendue pour nous et la plus plaisante, des objets qu'on venait de lui apprendre à connaître, ou de ce dont nous lui parlions et que nous lui décrivions, lorsque nous ne le pouvions mettre directement à sa portée ; car nous nous servions toujours de ce qu'elle pouvait toucher ou sentir pour expliquer ce qu'elle ne pouvait atteindre, procédant à la manière des télémétreurs.

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