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Alfred de Musset

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La grande chance de Musset est d'avoir exprimé avec bonheur les sentiments de la jeunesse de son temps, et parmi eux quelques-uns des sentiments de la jeunesse de toujours. Cela explique à la fois son vieillissement et sa survie. Il date et il demeure près de nous, ne serait-ce que comme un symbole. Il a mieux : de beaux cris, où la sincérité se mêle à la littérature (est-ce un crime pour un écrivain d'être littéraire ?) ; il a l'indépendance et la franchise. Faire le point sur lui, quand on l'a aimé à vingt ans, c'est aussi faire le point sur soi-même, répudier ses propres exagérations, retrouver le vrai sous les fantasmes du lyrisme, se regretter dans ce qu'on n'a plus et penser à ce qu'on a eu de bon dans sa jeunesse, l'amour, le besoin d'aimer, et une fraîche et naïve exaltation de l'âme, et ces rudes contacts, enrichissants ou destructeurs, avec le rée. Bref, Musset, pour moi (de plus en plus je m'avise qu'on ne peut donner sur aucun sujet que son sentiment), c'est, sans négliger ses charmes certains, le lieu émouvant de rencontre entre l'éternel romantisme et l'assagissement qui aboutit pour les uns à une démission, pour les autres à l'enivrante et mâle victoire du vrai. Alfred de Musset a été célèbre dans le cénacle romantique avant même d'avoir publié. Il avait récité ses premiers vers chez Nodier, dans les salons de l'Arsenal. Il aimait le plaisir et il séduisait par sa gaieté, son esprit, son ardeur à vivre. Il était ivre de Byron et de Shakespeare, et en même temps, à travers un père rousseauiste et un oncle voltairien, il se rattachait par sa formation classique à Rousseau, à Diderot, à Marivaux, à Molière, à La Fontaine et à Marot, dont le souvenir jalonnera toute son œuvre. Son livre de début, les Contes d'Espagne et d'Italie, imprimé en 1830, enchanta ses aînés eux-mêmes par les gages qu'il donnait à l'école nouvelle ; mais son second volume, le Spectacle dans un fauteuil, inquiéta, comme avaient inquiété, plus encore, lors de leur publication dans une revue, les Secrètes pensées de Rafaël : la recrue n'était pas si sûre, qui, à vingt ans, dédaigneux des engagements, se flattait de réconcilier sur sa table Shakespeare et Boileau. Et qui, le pis est, s'en flattait gaiement, c'est-à-dire sans beaucoup de respect pour les mages et pour les pontifes. En attendant Juana et Julie, qui ne paraîtront que plus tard, le meilleur du premier Musset est peut-être dans les strophes ardentes et vives de ces temps heureux, les charmantes Chansons à mettre en musique, Madrid, Barcelone et Venise et la célèbre et moqueuse Ballade à la Lune. Malgré l'enflure, il y a du souffle, une verve jeune, chaleureuse, dans Don Paez, dans Les Marrons du feu, dans Rolla. Mardoche et Namouna ont gardé leur amusant brio ; l'ironie sur soi-même, la désinvolture et l'impertinence font passer sur la rhétorique facile de ces contes. Mais déjà Rolla, du fond de l'incroyance et de la débauche, en avait sérieusement appelé contre le désespoir du siècle au ciel vide et la misère des fils de Werther (Goethe) et de René (Chateaubriand). Musset n'avait pas attendu George Sand pour découvrir la poésie de la douleur. Avant cette bruyante rencontre, il avait déjà déliré sur une autre "femme à l'œil sombre" et d'autres "filles insensées", effrénées à souhait, fatales et perfides, qui lui ont inspiré ses Laure, ses Belcolore, ses Marco, et la Jacqueline du Chandelier. Voici cependant Mme Sand.

« Alfred de Musset La grande chance de Musset est d'avoir exprimé avec bonheur les sentiments de la jeunesse de son temps, et parmi eux quelques-uns des sentiments de la jeunesse de toujours.

Cela explique à la fois son vieillissement et sa survie.

Il date et il demeure près de nous, ne serait-ce que comme un symbole.

Il a mieux : de beaux cris, où la sincérité se mêle à la littérature (est-ce un crime pour un écrivain d'être littéraire ?) ; il a l'indépendance et la franchise.

Faire le point sur lui, quand on l'a aimé à vingt ans, c'est aussi faire le point sur soimême, répudier ses propres exagérations, retrouver le vrai sous les fantasmes du lyrisme, se regretter dans ce qu'on n'a plus et penser à ce qu'on a eu de bon dans sa jeunesse, l'amour, le besoin d'aimer, et une fraîche et naïve exaltation de l'âme, et ces rudes contacts, enrichissants ou destructeurs, avec le rée.

Bref, Musset, pour moi (de plus en plus je m'avise qu'on ne peut donner sur aucun sujet que son sentiment), c'est, sans négliger ses charmes certains, le lieu émouvant de rencontre entre l'éternel romantisme et l'assagissement qui aboutit pour les uns à une démission, pour les autres à l'enivrante et mâle victoire du vrai. Alfred de Musset a été célèbre dans le cénacle romantique avant même d'avoir publié.

Il avait récité ses premiers vers chez Nodier, dans les salons d e l'Arsenal.

Il aimait le plaisir et il séduisait par sa gaieté, son esprit, son ardeur à vivre.

Il était ivre de Byron e t d e Shakespeare, et en même temps, à travers un père rousseauiste et un oncle voltairien, il se rattachait par sa formation classique à Rousseau, à Diderot, à Marivaux, à Molière, à La Fontaine et à Marot, dont le souvenir jalonnera toute son œuvre.

Son livre de début, les Contes d'Espagne et d'Italie, imprimé en 1830, enchanta ses aînés eux-mêmes par les gages qu'il donnait à l'école nouvelle ; mais son second volume, le Spectacle dans un fauteuil, inquiéta, comme avaient inquiété, plus encore, lors de leur publication dans une revue, les Secrètes pensées de Rafaël : la recrue n'était pas si sûre, qui, à vingt ans, dédaigneux des engagements, se flattait de réconcilier sur sa table Shakespeare et Boileau.

Et qui, le pis est, s'en flattait gaiement, c'est-à-dire sans beaucoup de respect pour les mages et pour les pontifes.

En attendant Juana et Julie, qui ne paraîtront que plus tard, le meilleur du premier Musset est peut-être dans les strophes ardentes et vives de ces temps heureux, les charmantes Chansons à mettre en musique, Madrid, Barcelone et Venise et la célèbre et moqueuse Ballade à la Lune.

Malgré l'enflure, il y a du souffle, une verve jeune, chaleureuse, dans Don Paez, dans Les Marrons du feu, dans Rolla.

Mardoche et Namouna ont gardé leur amusant brio ; l'ironie sur soi-même, la désinvolture et l'impertinence font passer sur la rhétorique facile de ces contes.

Mais déjà Rolla, du fond de l'incroyance et de la débauche, en avait sérieusement appelé contre le désespoir du siècle au ciel vide et la misère des fils de Werther (Goethe) et de René (Chateaubriand).

Musset n'avait pas attendu George Sand pour découvrir la poésie de la douleur.

Avant cette bruyante rencontre, il avait déjà déliré sur une autre "femme à l'œil sombre" et d'autres "filles insensées", effrénées à souhait, fatales et perfides, qui lui ont inspiré ses Laure, ses Belcolore, ses Marco, et la Jacqueline du Chandelier.

Voici cependant Mme Sand. Elle cherchait aussi l'absolu du cœur et les bénéfices littéraires de l'inspiration dans l'amour.

Après d'autres expériences, aussi vaines, elle crut trouver le bonheur auprès du sensible et fringant Musset.

La première exaltation tombée, il fallut s'aviser qu'il y avait maldonne, et Mme Sand chercha ailleurs, cependant que Musset s'abandonnait au désespoir d'être déçu.

L'histoire des "Amants de Venise" a été contée si souvent qu'il n'y a pas lieu d'y revenir, si ce n'est pour renvoyer aux lettres des intéressés, à la Confession d'un enfant du siècle, au Journal intime de George Sand, et à l'exégèse infinie des commentateurs, de Maurras à Maurois, qui l'ont éclairée de jours différents.

Ce qui mérite d'être retenu, de cette aventure, ce sont les poèmes des Nuits et du Souvenir, où la sentimentalité du temps se donne avec un peu trop d'éloquence libre cours, malgré la sincérité incontestable du disant.

C'est une histoire vraie qu'il rapporte, et des malheurs qui ne sont pas feints, si la jeunesse du poète les a un peu exagérés, du moins dans leur expression.

Le Souvenir parle d'un ton plus juste et plus mesuré, sur quoi s'achève avec de touchantes paroles d'apaisement et de pardon ce cycle de la douleur maîtrisée.

Musset devait d'ailleurs trouver par la suite des consolations et d'autres amours, mais sa veine lyrique était tarie, comme de s'être livrée sans réserve au premier choc qui l'a déclenchée.

Les Nuits qui avaient tant fait, au cours du siècle, pour la gloire de Musset (le poète des Bruits !) sont aussi ce qui l'a le plus desservi auprès des froids puristes du Parnasse et, de nos jours encore, chez nos romantiques nouveaux, fatigués surtout des vers réguliers et des sentiments les plus naturels quand ils ne sont pas traduits et déguisés sous d'artificieux symboles. Il n'en reste pas moins qu'une partie de l'œuvre rimée de Musset, qu'il a écrite et publiée autour de sa trentième année, dans le tour modéré de la confidence élégiaque, celui de Lucie et du Saule, celui du Sonnet de réconciliation avec Hugo, celui des Stances à Ninon et de Sur une morte, celui des aveux déchirants à Madame Jaubert, celui de la Chanson de Fortunio et de la Chanson de Barberine, mérite de retenir l'attention et de passer peut-être au premier plan de son anthologie.

On y mettra aussi l'admirable Soirée perdue où Musset a exprimé si simplement ce qui lui tenait le plus à cœur, en fait d'art et de vérité : sa vénération pour Molière et son culte pour André Chénier. Aussi bien, à travers le désordre et les tristesses de sa vie, ce Musset de la fin, dont il serait aisé de tenir peu compte, a pour lui quelque chose de très émouvant.

On le croit usé, flétri, mort.

Et c'est le temps qui va précéder sa métamorphose.

L'histoire posthume de Musset doit être considérée à part.

Tout d'abord, on l'a mieux connu, comme il arrive aux génies les plus populaires, déformés dans l'attitude d'exception où les réduit habituellement le goût public en les simplifiant.

Et l'on peut s'aviser aussi que l'intérêt s'est déplacé autour du poète, comme sa poésie elle-même.

Il reste toujours pour nous le Poète.

Mais nos pères se seraient étonnés de ce changement.

Ils adoraient Les Fortuits, Don Paez, Namouna ; cette grandiloquence, et cette allure, et ce verbalisme d'ailleurs sincère et traversé de beaux jets lyriques, où ils reconnaissaient les voix qui avaient ému leur jeunesse.

Ils vénéraient en lui le romantique pur.

C'est le classique qu'il est devenu en se dépouillant que nous aimons aujourd'hui dans Alfred de Musset, et ce théâtre exquis, longtemps cru injouable, et finalement à peu près le seul, d e toute la production dramatique du siècle, qui se soit maintenu au répertoire.

Ces Comédies et Proverbes, où Shakespeare et Marivaux se rejoignent, On ne badine pas avec l'amour, Il ne faut jurer de rien, Fantasio, Les Caprices de Marianne, Le Chandelier, Musset avait achevé et publié ces charmants et profonds chefs-d'œuvre avant sa vingt-cinquième année ; la plupart avaient vu le jour en 1833, dans les deux volumes en prose du Spectacle dans un fauteuil.

Sans aucun souci des nécessités de la scène, et cependant d'un mouvement et d'un effet si justes une fois qu'on les y a portés, c'est bien là le vrai Théâtre en liberté, dans son mélange arachnéen de rêverie et d'humour, de jeunesse fiévreuse, de jeu, de nature et de vérité.

On dirait que Musset, il y a plus d'un siècle, a pressenti notre curiosité des transferts et de la transposition de nous en autrui, notre inquiétude du dédoublement, notre soif perpétuelle d'autre chose, notre perpétuel désir d'être un autre.

"Je voudrais être ce monsieur qui passe", soupire Fantasio fatigué de luimême.

Entre Rosette et Camille, Perdican ne sait qui il aime ; et Marianne, pour son compte, l'apprendra trop tard : "Je ne vous aime pas, Marianne ; c'était Cœlio qui vous aimait", quand Cœlio vient de mourir à cause d'elle.

Est-ce Musset qui a prévu les enfants de ce siècle-ci, ou sont-ils demeurés pareils à ceux de 1830, dans l'éternelle incertitude et l'instabilité de la jeunesse ? Quand tant d'autres se sont desséchés et fossilisés dans leur gloire, Musset a gagné : il vit, il est resté vivant à travers ces adolescents cruels et baignés de larmes qui parlent pour lui, dans leur pathétique et vaine poursuite du bonheur.. »

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