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Zola, Thérèse Raquin, chapitre 21

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Zola, Thérèse Raquin, chapitre 21 Un fait, dont tout autre aurait souri, lui fit perdre entièrement la tête. Comme il se trouvait devant la cheminée, il entendit une sorte de grattement. Il pâlit, il s'imagina que ce grattement venait du portrait, que Camille descendait de son cadre. Puis il comprit que le bruit avait lieu à la petite porte donnant sur l'escalier. Il regarda Thérèse que la peur reprenait. « Il y a quelqu'un dans l'escalier, murmura-t-il. Qui peut venir par-là ? » La jeune femme ne répondit pas. Tous deux songeaient au noyé, une sueur glacée mouillait leurs tempes. Ils se réfugièrent au fond de la chambre, s'attendant à voir la porte s'ouvrir brusquement en laissant tomber sur le carreau le cadavre de Camille. Le bruit continuant plus sec, plus irrégulier, ils pensèrent que leur victime écorchait le bois avec ses ongles pour entrer. Pendant près de cinq minutes, ils n'osèrent bouger. Enfin un miaulement se fit entendre. Laurent, en s'approchant, reconnut le chat tigré de Mme Raquin, qui avait été enfermé par mégarde dans la chambre, et qui tentait d'en sortir en secouant la petite porte avec ses griffes. François eut peur de Laurent ; d'un bond, il sauta sur une chaise ; le poil hérissé, les pattes roidies, il regardait son nouveau maître en face, d'un air dur et cruel. Le jeune homme n'aimait pas les chats, François l'effrayait presque. Dans cette heure de fièvre et de crainte, il crut que le chat allait lui sauter au visage pour venger Camille. Cette bête devait tout savoir : il y avait des pensées dans ses yeux ronds, étrangement dilatés. Laurent baissa les paupières, devant la fixité de ces regards de brute. Comme il allait donner un coup de pied à François : « Ne lui fais pas de mal », s'écria Thérèse. Ce cri lui causa une étrange impression. Une idée absurde lui emplit la tête. « Camille est entré dans ce chat, pensa-t-il. Il faudra que je tue cette bête… Elle a l'air d'une personne. » Il ne donna pas le coup de pied, craignant d'entendre François lui parler avec le son de voix de Camille. Puis il se rappela les plaisanteries de Thérèse, aux temps de leurs voluptés, lorsque le chat était témoin des baisers qu'ils échangeaient. Il se dit alors que cette bête en savait trop et qu'il fallait la jeter par la fenêtre. Mais il n'eut pas le courage d'accomplir son dessein. François gardait une attitude de guerre ; les griffes allongées, le dos soulevé par une irritation sourde, il suivait les moindres mouvements de son ennemi avec une tranquillité superbe. Laurent fut gêné par l'éclat métallique de ses yeux ; il se hâta de lui ouvrir la porte de la salle à manger, et le chat s'enfuit en poussant un miaulement aigu.

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