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Victor Hugo, « Soleils couchants »

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Victor Hugo, « Soleils couchants » Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées; Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ; Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ; Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit ! Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule Sur la face des mers, sur la face des monts, Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule Comme un hymne confus des morts que nous aimons. Et la face des eaux, et le front des montagnes, Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête, Sans que rien manque au monde immense et radieux !

« Introduction Lorsque Victor Hugo compose ce poème il vient de publier Les Orientales où son sens de la couleur se donne libre cours.

On peut donc s'étonner de n'y trouver aucun élément descriptif.

La vision du soleil couchant, qui va donner l'élan à l'inspiration du poète, est seulement notée d'une manière précise et incolore dans le premier vers.

Et même la strophe qu'il consacre au spectacle de la nature est volontairement dénuée de pittoresque.

Tout s'efface devant l'ampleur d'une émouvante méditation lyrique. 1.

Les thèmes lyriques et leur progression Comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre, cette méditation est particulièrement riche.

Plusieurs thèmes lyriques y sont tour à tour développés : sentiment de la fuite du temps, de la jeunesse éternelle de la nature et de son indifférence à l'égard de la créature humaine, de la mort qui clôt inexorablement le destin de l'homme.

Mais surtout ces thèmes s'appellent l'un l'autre dans un élan irrésistible.

Le ciel qui annonce l'orage du lendemain amène l'esprit du poète à se tourner vers l'avenir immédiat puis à évoquer, à travers lui, la succession précipitée des jours et des nuits scandant le rythme inexorable du temps.

De ce rythme du temps il montre ensuite les effets sur la nature et le cycle des saisons qui lui confère chaque année une nouvelle jeunesse.

Par contraste enfin avec cette nature éternellement jeune, il évoque l'homme que chaque instant rapproche davantage du déclin, de la vieillesse et de la mort.

Précisons enfin que cette progression qui entraîne l'ensemble, s'achève sur un crescendo.

C'est par un retour sur lui-même, sur sa fin proche et inéluctable, au milieu de l'indifférence et de la splendeur du monde, que Victor Hugo achève sa méditation.

Il aurait pu, sans doute, nous parler de la condition humaine en général dont son propre cas reflète la commune misère, M «Il s aveu de détresse intime qui trouve en chacun de ses lecteur» un écho tragique, est beaucoup plus émouvant. 2.

Un talent souple et divers Pour évoquer chacun de ces thèmes dans sa tonalité particulière, Victor Hugo utilise toutes les ressources d'un talent souple et divers. C'est ainsi que dès le second vers il nous impose avec vigueur l'impression de la fuite du temps : « Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit; » L'inversion, d'abord, est heureuse, elle donne au ton une solennité presque prophétique.

Pour s'en convaincre, s'il était nécessaire, il suffirait de restituer l'ordre usuel des termes : « l'orage viendra demain ».

Il ne s'agirait plus alors que d'une prévision banale et plate. Ajoutons que le verbe est au singulier bien que la phrase ait trois sujets : l'orage, le soir, la nuit.

Chaque moment du déroulement de la journée se trouve ainsi détaché d'une manière autonome, et le rythme de leur succession est ainsi accusé.

Enfin, l'emploi de la conjonction « et » devant le second et le troisième sujet peut surprendre puisque l'usage exige qu'il figure seulement devant le dernier terme de l'énumération.

Il se justifie pourtant car il impose l'impression d'une continuité inexorable.

Dans le dernier vers de la strophe, l'accumulation des monosyllabes, le rythme fortement marqué, la reprise symétrique du mot « puis » qui le souligne, précipitent la cadence et nous donnent l'impression d'être emportés dans une course folle : « Puis les nuits,/puis les jours,/pas du temps qui s'enfuit.

» Quand il s'agit au contraire d'évoquer dans son ampleur majestueuse et sereine le spectacle de la nature, le ton est très différent La phrase se déploie largement d'un seul mouvement, pendant deux vers et demi : « Et la face des monts, et le front des montagnes, Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissant; » La symétrie parfaite des deux hémistiches du premier vers, la reprise de la conjonction « et » avant chacun des trois sujets, donnent à ce mouvement une allure lente et équilibrée.

Le choix des mots renforce la valeur expressive du rejet « S'iront rajeunissant ».

Il semble que l'on assiste à l'éclosion progressive et irrésistible du renouveau.

De la même manière, la dernière partie de la phrase se développe d'un mouvement continu, grâce à un nouveau rejet, sans aucune pause, pendant un vers et demi.

Ici encore le rythme, ainsi élargi, s'accorde avec la vaste vision cyclique qui nous est évoquée : « ...

le fleuve des campagnes Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.

» Enfin, l'emploi du pluriel (« le fleuve des campagnes...

aux mers ») agrandit encore le cadre à des proportions immenses et renforce la majesté du tableau. La dernière strophe est d'une tout autre facture.

Le premier vers, avec son rythme heurté, l'accumulation des consonnes sourdes, nous suggère les pesées successives qu'exerce le temps inexorable : « Mais moi,/sous chaque jour courbant plus bas ma tête, » Les deux monosyllabes, détachés en tête confèrent, comme le rejet, un accent tragique à ce retour du poète sur lui-même (« Mais moi... je passe »).

Et la strophe se termine sur le rappel d'un contraste bouleversant : les deux thèmes, celui de la nature éternellement jeune et celui de l'homme voué à la mort, s'entrecroisent dans le mouvement de la phrase et s'opposent trait pour trait dans le détail de l'expression : « et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête...

» La joie, l'exubérance de la nature ne seront pas troublées par cette disparition dont la perspective est d'autant plus angoissante qu'elle s'affirme à la fois comme une certitude, soulignée par l'emploi du futur, et comme une échéance en même temps proche et imprécise (« bientôt »).

Le poème s'achève sur une exclamation au rythme lent et majestueux proclamant le triomphe d'un monde indifférent, que la disparition de l'homme n'affecte pas : « Sans que rien manque au monde, immense et radieux! » Conclusion Ce texte révèle donc un aspect essentiel du talent si divers de Victor Hugo.

Dans le recueil des Feuilles d'Automne où figure ce poème il livre sur le ton de la confidence l'intimité de son cœur.

Cette méditation lyrique sur la fuite inexorable du temps, sur la brièveté de la vie humaine, s'exprime en des accents émouvants.

Elle est d'autant plus frappante qu'elle est l'œuvre d'un jeune homme de vingt-sept ans, pour qui la vie s'annonce si riche de promesses.

Mais surtout elle révèle la parfaite maîtrise du poète qui sait accorder si étroitement les ressources de la phrase et la diversité des rythmes à la richesse multiple de son inspiration.. »

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