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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les contemplations) - La nature

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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les contemplations) - La nature - La terre est de granit, les ruisseaux sont de marbre ; C'est l'hiver ; nous avons bien froid. Veux-tu, bon arbre, Être dans mon foyer la bûche de Noël ? - Bois, je viens de la terre, et, feu, je monte au ciel. Frappe, bon bûcheron. Père, aïeul, homme, femme, Chauffez au feu vos mains, chauffez à Dieu votre âme. Aimez, vivez. - Veux-tu, bon arbre, être timon De charrue ? - Oui, je veux creuser le noir limon, Et tirer l'épi d'or de la terre profonde. Quand le soc a passé, la plaine devient blonde, La paix aux doux yeux sort du sillon entr'ouvert, Et l'aube en pleurs sourit. - Veux-tu, bel arbre vert, Arbre du hallier sombre où le chevreuil s'échappe, De la maison de l'homme être le pilier ? - Frappe. Je puis porter les toits, ayant porté les nids. Ta demeure est sacrée, homme, et je la bénis ; Là, dans l'ombre et l'amour, pensif, tu te recueilles ; Et le bruit des enfants ressemble au bruit des feuilles. - Veux-tu, dis-moi, bon arbre, être mât de vaisseau ? - Frappe, bon charpentier. Je veux bien être oiseau. Le navire est pour moi, dans l'immense mystère, Ce qu'est pour vous la tombe ; il m'arrache à la terre, Et, frissonnant, m'emporte à travers l'infini. J'irai voir ces grands cieux d'où l'hiver est banni, Et dont plus d'un essaim me parle à son passage. Pas plus que le tombeau n'épouvante le sage, Le profond Océan, d'obscurité vêtu, Ne m'épouvante point : oui, frappe. - Arbre, veux-tu Être gibet ? - Silence, homme ! va-t'en, cognée ! J'appartiens à la vie, à la vie indignée ! Va-t'en, bourreau ! va-t'en, juge ! fuyez, démons ! Je suis l'arbre des bois, je suis l'arbre des monts ; Je porte les fruits mûrs, j'abrite les pervenches ; Laissez-moi ma racine et laissez-moi mes branches ! Arrière ! hommes, tuez ! ouvriers du trépas, Soyez sanglants, mauvais, durs ; mais ne venez pas, Ne venez pas, traînant des cordes et des chaînes, Vous chercher un complice au milieu des grands chênes ! Ne faites pas servir à vos crimes, vivants, L'arbre mystérieux à qui parlent les vents ! Vos lois portent la nuit sur leurs ailes funèbres. Je suis fils du soleil, soyez fils des ténèbres. Allez-vous-en ! laissez l'arbre dans ses déserts. A vos plaisirs, aux jeux, aux festins, aux concerts, Accouplez l'échafaud et le supplice ; faites. Soit. Vivez et tuez. Tuez entre deux fêtes Le malheureux, chargé de fautes et de maux ; Moi, je ne mêle pas de spectre à mes rameaux !

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