Théophile de VIAU (1590-1626) - La solitude
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Théophile de VIAU (1590-1626) - La solitude Ode Dans ce val solitaire et sombre Le cerf qui brame au bruit de l'eau, Penchant ses yeux dans un ruisseau, S'amuse à regarder son ombre. De cette source une Naïade Tous les soirs ouvre le portail De sa demeure de cristal Et nous chante une sérénade. Les Nymphes que la chasse attire À l'ombrage de ces forêts Cherchent des cabinets secrets Loin de l'embûche du Satyre. Jadis au pied de ce grand chêne, Presque aussi vieux que le Soleil, Bacchus, l'Amour et le Sommeil Firent la fosse de Silène. Un froid et ténébreux silence Dort à l'ombre de ces ormeaux, Et les vents battent les rameaux D'une amoureuse violence. L'esprit plus retenu s'engage Au plaisir de ce doux séjour, Où Philomèle nuit et jour Renouvelle un piteux langage. L'orfraie et le hibou s'y perchent, Ici vivent les loups-garous ; Jamais la justice en courroux Ici de criminels ne cherche. Ici l'amour fait ses études, Vénus dresse des autels, Et les visites des mortels Ne troublent point ces solitudes. Cette forêt n'est point profane, Ce ne fut point sans la fâcher Qu'Amour y vint jadis cacher Le berger qu'enseignait Diane. Amour pouvait par innocence, Comme enfant, tendre ici des rets ; Et comme reine des forêts, Diane avait cette licence. Cupidon, d'une douce flamme Ouvrant la nuit de ce vallon, Mit devant les yeux d'Apollon Le garçon qu'il avait dans l'âme. À l'ombrage de ce bois sombre Hyacinthe se retira, Et depuis le Soleil jura Qu'il serait ennemi de l'ombre. Tout auprès le jaloux Borée Pressé d'un amoureux tourment, Fut la mort de ce jeune amant Encore par lui soupirée. Sainte forêt, ma confidente, Je jure par le Dieu du jour Que je n'aurai jamais amour Qui ne te soit toute évidente. Mon Ange ira par cet ombrage ; Le Soleil, le voyant venir, Ressentira du souvenir L'accès de sa première rage. Corine, je te prie, approche ; Couchons-nous sur ce tapis vert Et pour être mieux à couvert Entrons au creux de cette roche. Ouvre tes yeux, je te supplie : Mille amours logent là-dedans, Et de leurs petits traits ardents Ta prunelle est toute remplie. Amour de tes regards soupire, Et, ton esclave devenu, Se voit lui-même retenu, Dans les liens de son empire. Ô beauté sans doute immortelle Où les Dieux trouvent des appas ! Par vos yeux je ne croyais pas Que vous fussiez du tout si belle. Qui voudrait faire une peinture Qui peut ses traits représenter, Il faudrait bien mieux inventer Que ne fera jamais nature. Tout un siècle les destinées Travaillèrent après ses yeux, Et je crois que pour faire mieux Le temps n'a point assez d'années. D'une fierté pleine d'amorce, Ce beau visage a des regards Qui jettent des feux et des dards Dont les Dieux aimeraient la force. Que ton teint est de bonne grâce ! Qu'il est blanc, et qu'il est vermeil ! Il est plus net que le Soleil, Et plus uni que de la glace, Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent ! Ils s'ébattent dessus ton front Et les voyant beaux comme ils sont Je suis jaloux quand ils te baisent. Belle bouche d'ambre et de rose Ton entretien est déplaisant Si tu ne dis, en me baisant, Qu'aimer est une belle chose. D'un air plein d'amoureuse flamme, Aux accents de ta douce voix Je vois les fleuves et les bois S'embraser comme a fait mon âme. Si tu mouilles tes doigts d'ivoire Dans le cristal de ce ruisseau, Le Dieu qui loge dans cette eau Aimera, S'il en ose boire. Présente-lui ta face nue, Tes yeux avecques l'eau riront, Et dans ce miroir écriront Que Vénus est ici venue. Si bien elle y sera dépeinte Que les Faunes s'enflammeront, Et de tes yeux, qu'ils aimeront, Ne sauront découvrir la feinte. Entends ce Dieu qui te convie A passer dans son élément ; Ouïs qu'il soupire bellement Sa liberté déjà ravie. Trouble-lui cette fantasie Détourne-toi de ce miroir, Tu le mettras au désespoir Et m'ôteras la jalousie. Vois-tu ce tronc et cette pierre ! Je crois qu'ils prennent garde à nous, Et mon amour devient jaloux De ce myrthe et de ce lierre. Sus, ma Corine ! que je cueille Tes baisers du matin au soir Vois, comment, pour nous faire asseoir, Ce myrthe a laissé choir sa feuille ! Ouïs le pinson et la linotte, Sur la branche de ce rosier ; Vois branler leur petit gosier Ouïs comme ils ont changé de note ! Approche, approche, ma Driade ! Ici murmureront les eaux ; Ici les amoureux oiseaux Chanteront une sérénade. Prête moi ton sein pour y boire Des odeurs qui m'embaumeront ; Ainsi mes sens se pâmeront Dans les lacs de tes bras d'ivoire. Je baignerai mes mains folâtres Dans les ondes de tes cheveux Et ta beauté prendra les voeux De mes oeillades idolâtres. Ne crains rien, Cupidon nous garde. Mon petit Ange, es-tu pas mien ! Ha ! je vois que tu m'aimes bien Tu rougis quand je te regarde. Dieux ! que cette façon timide Est puissante sur mes esprits ! Regnauld ne fut pas mieux épris Par les charmes de son Armide. Ma Corine, que je t'embrasse ! Personne ne nous voit qu'Amour ; Vois que même les yeux du jour Ne trouvent point ici de place. Les vents, qui ne se peuvent taire, Ne peuvent écouter aussi, Et ce que nous ferons ici Leur est un inconnu mystère.
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