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Stendhal - Le Rouge et le Noir - II° partie, Chapitre III (Les premiers pas à Paris)

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Stendhal - Le Rouge et le Noir - II° partie, Chapitre III (Les premiers pas à Paris) Le comte Norbert parut dans la bibliothèque vers les trois heures; il venait étudier un journal, pour pouvoir parler politique le soir, et fut bien aise de rencontrer Julien, dont il avait oublié l'existence. Il fut parfait pour lui ; il lui offrit de monter à cheval. - Mon père nous donne congé jusqu'au dîner. Julien comprit ce NOUS et le trouva charmant. - Mon Dieu, Monsieur le comte, dit Julien, s'il s'agissait d'abattre un arbre de quatre-vingts pieds de haut, de l'équarrir et d'en faire des planches, je m'en tirerais bien, j'ose le dire; mais monter à cheval, cela ne m'est pas arrivé six fois en ma vie. - Eh bien, ce sera la septième, dit Norbert. Au fond, Julien se rappelait l'entrée du roi de *** à Verrières, et croyait monter à cheval supérieurement. Mais en revenant du bois de Boulogne, au beau milieu de la rue du Bac, il tomba, en voulant éviter brusquement un cabriolet, et se couvrit de boue. Bien lui prit d'avoir deux habits. Au dîner, le marquis voulant lui adresser la parole, lui demanda des nouvelles de sa promenade: Norbert se hâta de répondre en termes généraux. - Monsieur le comte est plein de bontés pour moi, reprit Julien, je l'en remercie, et j'en sens tout le prix. Il a daigné me faire donner le cheval le plus doux et le plus joli; mais enfin il ne pouvait pas m'y attacher, et, faute de cette précaution, je suis tombé au beau milieu de cette rue si longue, près du pont. Mademoiselle Mathilde essaya en vain de dissimuler un éclat de rire, ensuite son indiscrétion demanda des détails. Julien s'en tira avec beaucoup de simplicité ; il eut de la grâce sans le savoir. - J'augure bien de ce petit prêtre, dit le marquis à l'académicien : un provincial simple en pareille occurrence! C'est ce qui ne s'est jamais vu et ne se verra plus; et encore il raconte son malheur devant les Dames! Julien mit tellement les auditeurs à leur aise sur son infortune, qu'à la fin du dîner, lorsque la conversation générale eut pris un autre cours, Mademoiselle Mathilde faisait des questions à son frère sur les détails de l'événement malheureux. Ses questions se prolongeant, et Julien rencontrant ses yeux plusieurs fois, il osa répondre directement, quoiqu'il ne fût pas interrogé, et tous trois finirent par rire, comme auraient pu faire trois jeunes habitants d'un village au fond d'un bois.

« L'orientation du commentaire Les sources d'intérêt de ce texte sont multiples.

C'est sans doute pourquoi le libellé vous invite à faire un choix personnel dans l'orientation de votre commentaire.

Les candidats ont, pour la plupart, lu et même étudié Le rouge et le noir.

Mais nous envisageons le cas, plus fréquent qu'on le pense, d'un étudiant pour qui ce passage est l'occasion d'une première rencontre avec Stendhal.

Quel intérêt peut-il prendre à cette lecture? Sans doute s'attachera-t-il aux personnages.

Il n'aura pas de peine à découvrir l'aspect satirique d'une peinture sociale en ce qui Concerne les deux aristocrates : le comte Norbert et son père, le marquis de la Mole.

Et il appréciera par contraste la forte personnalité de Julien Sorel.

Son analyse s'organisera donc naturellement autour de l'intérêt psychologique de cette page. Introduction Cette page de Stendhal nous fait assister à une journée de Julien Sorel.

Sous la banalité apparente de cet emploi du temps, nous apprenons à connaître les membres de la famille aristocratique qui l'emploie.

Et Julien lui-même dévoile au travers de ses faits et gestes certains aspects de son caractère. 1.

Les personnages secondaires Surpris dans l'intimité de leur vie quotidienne, les personnages nous révèlent par leur comportement et leur propos l'essentiel de leur caractère.

Le marquis de la Mole est ici esquissé d'un crayon assez rapide.

L'esquisse est suffisante toutefois pour que nous puissions apprécier au passage sa politesse méticuleuse et lointaine.

S'il demande à son secrétaire « des nouvelles de sa promenade », c'est parce qu'il estime que la simple correction lui impose de ne pas ignorer, tout au long d'un dîner, un inférieur qu'il a admis à sa table.

Voilà pourquoi Stendhal souligne qu'il veut lui adresser la parole, et l'objet de sa question importe peu; seul compte à ses yeux, le geste de courtoisie qu'il entend y mettre.

Même lorsqu'il exprime à son voisin l'académicien sa satisfaction de voir Julien se tirer avec bonne grâce d'une situation délicate, il parle avec une désinvolture hautaine de « ce petit prêtre » doublé d'un provincial.

Pour lui en fin de compte, le mérite essentiel de son nouveau secrétaire est de s'être montré sous un jour plus favorable que ne l'aurait laissé prévoir la médiocrité de sa condition.

Bref, c'est l'esprit de caste de ce grand seigneur qui transparaît ici à la fois sous ses scrupules de politesse et sous les éloges condescendants qu'il décerne. Le comte Norbert, son fils, nous offre un autre spécimen de l'aristocratie.

La même politesse raffinée s'observe chez lui.

Lorsqu'il propose à Julien de monter à cheval en sa compagnie, il trouve le moyen de lui dire avec la meilleure grâce du monde qu'il peut, sans manquer aux devoirs de sa charge, disposer de quelques heures de loisirs.

Pour ne pas souligner d'une manière pénible à son interlocuteur sa situation inférieure, il se met par un artifice de forme sur le même plan que celui-ci et feint d'avoir profité au même titre que Julien Sorel de cette permission libéralement octroyée : « Mon père, dit-il, «ordonne congé jusqu'au dîner ».

De même au cours du dîner, avec un à-propos exquis, il a l'art de tirer Julien d'une situation embarrassante.

Pour éviter au cavalier maladroit de confesser publiquement sa disgrâce, il prend la parole à sa place et se cantonne dans une réponse vague qui permettrait de clore le débat.

En outre, son habitude de la conversation mondaine lui a donné l'esprit de répartie.

Il trouve sans effort la réponse du tac au tac qui rebondit allègrement et victorieusement en une formule enjouée : « Monter à cheval (dit Julien), cela ne m'est pas arrivé six fois dans ma vie.

— Eh bien! ce sera la septième, dit Norbert.

» Mais cela ne doit pas nous faire illusion et Stendhal, en même temps qu'il souligne les mérites de son personnage, sait aussi nous en indiquer les limites.

La politesse parfaite du comte Norbert se concilie à merveille avec une indifférence tout aussi parfaite à l'égard de ce jeune roturier qu'il comble de sa courtoisie : le nouvel arrivant offrait si peu d'intérêt à ses yeux qu'il avait oublié jusqu'à « son existence ».

Quant à la façade brillante, il semble bien qu'elle ne soit qu'un leurre.

Pour meubler la conversation et pour faire preuve de quelque sagacité dans la discussion politique à laquelle il entend se mêler, dans la soirée, le comte Norbert a besoin de venir chercher l'inspiration dans quelque article de journal.

Bien mieux, à ce genre de lecture qui demande d'ordinaire une attention superficielle il se livre avec application : il vient « étudier » un journal. Et cela ne plaide guère sans doute en faveur de l'étendue de sa formation intellectuelle et de sa culture. Tels nous apparaissent dans cette page le marquis et le comte de la Mole, avec leurs brillantes qualités de façade, leur esprit de caste et cette politesse sans faille, marque de leur parfaite éducation, de leur parfait usage du monde.

Ils nous sont décrits moins par ce qui les distingue que par leurs traits communs.

L'un et l'autre évoquent le milieu aristocratique.

La peinture psychologique s'élargit en une satire sociale. 2.

Le personnage principal Or cette satire sociale est vigoureusement mise en valeur par un contraste plein de sens.

En face de ces aristocrates aux qualités brillantes mais superficielles se dresse la personnalité riche et profonde de Julien Sorel.

L'opposition se manifeste d'abord dans un domaine où le jeune provincial semble à première vue se mettre à l'unisson de ses hôtes. Lorsque la conversation s'engage sur cette malheureuse promenade à cheval où notre héros a fait si triste figure, Julien fait preuve de ces qualités de tact, d'aisance et d'esprit qui sont l'apanage habituel et autant dire exclusif des gens du monde.

Il n'accepte pas la solution de facilité qui consisterait à laisser la conversation rebondir naturellement vers un sujet moins brûlant, grâce à l'aimable intervention de Norbert de la Mole.

Et en répondant à son tour à la question du marquis, il sait à la fois témoigner en termes mesurés et respectueux sa reconnaissance et se moquer de lui-même sur un ton plein d'humour.

Bien mieux, en insistant sur les attentions délicates du jeune comte à son égard, il écarte délibérément toute circonstance atténuante de sa maladresse : Norbert avait daigné lui « faire donner le cheval. »

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