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Simone SCHWARZ-BART, Pluie et vent sur Télumée-Miracle.

Extrait du document

Le plus mystérieux d'entre eux était un certain Tac-Tac ainsi nommé à cause de son voum-tac, l'énorme flûte de bambou qu'il portait toujours à l'épaule, suspendue pour l'éternité. C'était un vieux nègre couleur de terre brûlée, avec une figure un peu plate où venaient s'ouvrir deux yeux perdus, qui roulaient sur vous avec surprise et précaution, toujours émerveillés, dans l'étonnement de retrouver bêtes et gens. Il habitait cahute logée dans un arbre et à laquelle il accédait par une échelle de corde. Sa petite cahute, sa flûte de bambou, son jardin au creux d'une clairière... il descendait tous les deux mois pour acheter son rhum et il plus loin que les autres, à la tête même de la montagne, une petite ne fallait pas lui rendre visite, dans l'intervalle, le bougre n'aimait pas ça, ne desserrait les dents pour aucune âme qui vive autour de lui, n'avait pas le temps, disait-il. Mais tous les matins, à peine le soleil surgissait-il dans le haut des arbres, qu'arrivaient sur nous des hululements de flûte et c'était Tac-Tac qui s'envolait devant son immense bambou, les yeux fermés, les veines du cou tendues, c'était Tac-Tac qui commençait à parler, selon son dire, toutes les langues de la terre. Et il soufflait de tout son corps par saccades, longue, brève, brève, longue, brève, longue, longue, longue, longue, longue qui traversaient la voûte de la forêt tout droit pour venir s'engouffrer dans nos poitrines, en frissons, en sanglots, en amour et ça vous soulevait comme ça de terre tout droit, quand vous ouvriez les yeux. Et c'est debout qu'il était, debout devant sa longue flûte de bambou et il n'y avait pas moyen de ne pas l'écouter, car ça ne faisait que rentrer : voum-tac, et ça vous retournait dans le même temps que vous ouvriez les yeux, et c'était ainsi, vous ne pouviez rien y faire, Tac-Tac s'envolait devant son bambou après avoir déversé tout ce qui l'avait rempli, tout ce qu'il avait senti, ce matin-là...

« Le plus mystérieux d'entre eux était un certain Tac-Tac ainsi nommé à cause de son voum-tac, l'énorme flûte de bambou qu'il portait toujours à l'épaule, suspendue pour l'éternité.

C'était un vieux nègre couleur de terre brûlée, avec une figure un peu plate où venaient s'ouvrir deux yeux perdus, qui roulaient sur vous avec surprise et précaution, toujours émerveillés, dans l'étonnement de retrouver bêtes et gens.

Il habitait cahute logée dans un arbre et à laquelle il accédait par une échelle de corde.

Sa petite cahute, sa flûte de bambou, son jardin au creux d'une clairière...

il descendait tous les deux mois pour acheter son rhum et il plus loin que les autres, à la tête même de la montagne, une petite ne fallait pas lui rendre visite, dans l'intervalle, le bougre n'aimait pas ça, ne desserrait les dents pour aucune âme qui vive autour de lui, n'avait pas le temps, disait-il.

Mais tous les matins, à peine le soleil surgissait-il dans le haut des arbres, qu'arrivaient sur nous des hululements de flûte et c'était Tac-Tac qui s'envolait devant son immense bambou, les yeux fermés, les veines du cou tendues, c'était Tac-Tac qui commençait à parler, selon son dire, toutes les langues de la terre.

Et il soufflait de tout son corps par saccades, longue, brève, brève, longue, brève, longue, longue, longue, longue, longue qui traversaient la voûte de la forêt tout droit pour venir s'engouffrer dans nos poitrines, en frissons, en sanglots, en amour et ça vous soulevait comme ça de terre tout droit, quand vous ouvriez les yeux.

Et c'est debout qu'il était, debout devant sa longue flûte de bambou et il n'y avait pas moyen de ne pas l'écouter, car ça ne faisait que rentrer : voum-tac, et ça vous retournait dans le même temps que vous ouvriez les yeux, et c'était ainsi, vous ne pouviez rien y faire, Tac-Tac s'envolait devant son bambou après avoir déversé tout ce qui l'avait rempli, tout ce qu'il avait senti, ce matin-là... Simone SCHWARZ-BART, Pluie et vent sur Télumée-Miracle. Si l'on admet communément que l'art est communication, celle-ci revêt plusieurs formes d'expression différentes.

On s'en rend compte lorsqu'on passe de l'une à l'autre, en s'efforçant d'atteindre la communion des arts entre eux. Peinture et littérature s'unissent par exemple dans des poèmes d'Eluard ou de Prévert célébrant Miro, Picasso ou Van Gogh.

Transcrire la magie de la musique par les mots est une entreprise difficile.

Comment rendre le son musical, le rythme, l'effet produit sur la sensibilité de l'auditeur ? C'est à quoi s'essaie avec bonheur Simone Schwarz-Bart dans cette page que l'on peut comparer avec les évocations de Romain Rolland dans Jean-Christophe et de Giono dans Un de Baumugnes. Le portrait d'un musicien marginal, hanté par les sons, permet d'évoquer la puissance de communication de la musique et de transcrire le son par le langage. ** Le portrait du vieux noir musicien est placé sous le signe du mystère : le physique, le mode de vie, les relations avec le reste de la communauté font du dénommé Tac-Tac un être à part, comme Albin, le joueur d'harmonica du village perdu de Baumugnes . Le musicien semble se placer dans une galerie de personnages originaux comme l'indique le début du texte : « le plus mystérieux d'entre eux.

» L'aspect insolite est rehaussé par le nom du musicien, une onomatopée dérivée du nom de l'instrument : « un certain Tac-Tac ainsi nommé à cause de son voum-tac ».

L'homme et l'instrument ne font qu'un et répondent presque à la même dénomination. Le physique du vieux noir souligne combien il est lié à la nature, à la forêt avec sa peau « couleur de' terre brûlée ».

Il a l'âge des sages dans toutes les civilisations et ce regard qui transperce la réalité, « deux yeux perdus, qui roulaient sur vous avec surprise et précaution, toujours émerveillés » qui évoquent le regard des devins, habiles à déchiffrer l'au-delà, une réalité supérieure, qui, ici, n'est pas divine, mais musicale.

C'est un être à part, différent des autres, habité par la seule musique. Son mode de vie ne s'apparente d'ailleurs pas au reste de la communauté.

Il habite aux confins de la grande nature à laquelle il est viscéralement lié.

« Il habitait plus loin que les autres ».

Tac-Tac est l'exception : « le plus mystérieux », celui qui habite le « plus loin »...

Sa maison réalise le rêve enfantin de la cabane perchée dans les arbres, maisonforêt, maison-nature qui nie la signification même de l'habitation conçue comme une protection ou un enfermement : « à la tête même de la montagne, une petite cahute logée dans un arbre et à laquelle il accédait par une échelle de corde.

» Cette immersion dans la nature explique sa musique tout entière liée à la nature.

Il puise son inspiration aux sources de la vie et de la nature et renvoie ce chant au reste du village, qui a déjà perdu cette forme de contact : « Tac-Tac s'envolait devant son bambou après avoir déversé tout ce qui l'avait rempli, tout ce qu'il avait senti, ce matin-là.

» Cette vie en union avec la nature explique ses relations avec les hommes.

Celles-ci sont lointaines et espacées dans le temps.

Comme tous les personnages marginaux dont la fonction est reconnue, Tac-Tac vit en dehors du village matériellement par l'emplacement de sa maison et socialement.

Il semble vivre en solitaire puisqu'il ne descend acheter du rhum que tous les deux mois et ne veut pas qu'on lui rende visite : « il ne fallait pas lui rendre visite, dans l'intervalle, le bougre n'aimait pas ça ».

Il dédaigne les formes ordinaires de communication, le bavardage par exemple : il « ne desserrait les dents pour âme qui vive autour de lui, n'avait pas le temps, disait-il ».

Ne nous y trompons pas cependant, ni l'égoïsme, ni la solitude au sens premier du terme ne le caractérisent.

Il a substitué aux relations Session de juin 1987 humaines ordinaires comme la vie en communauté dans le village et le bavardage tiré de menus riens quotidiens, l'essentiel, soit la musique. Décrire un personnage marginal comme l'est Tac-Tac rejoint finalement un topos de la littérature, riche en figures originales, fascinantes parce qu'elles tranchent sur l'humanité moyenne.

En ayant choisi un musicien qui envoûte son auditoire, Simone Schwarz-Bart est confrontée au problème de la transcription d'un art par une expression artistique. »

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