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SENANCOUR (1770-1846), Oberman (1804), Lettre VII.

Extrait du document

Lassé de « l'agitation des terres humaines », le narrateur s'est réfugié à Saint-Maurice dans les Alpes. Au cours d'une excursion en montagne, il découvre ce qu'il appelle lui-même « un monde nouveau ». La journée était ardente, l'horizon fumeux, et les vallées vaporeuses. L'éclat des glaces remplissait l'atmosphère inférieure de leurs reflets lumineux ; mais une pureté inconnue semblait essentielle à l'air que je respirais. A cette hauteur, nulle exhalaison des lieux bas, nul accident de lumière ne troublaient, ne divisaient la vague et sombre profondeur des cieux. Leur couleur apparente n'était plus ce bleu pâle et éclairé, doux revêtement des plaines, agréable et délicat mélange qui forme à la terre habitée une enceinte visible où l'oeil se repose et s'arrête. Là l'éther indiscernable laissait la vue se perdre dans l'immensité sans bornes ; au milieu de l'éclat du soleil et des glaciers, chercher d'autres mondes et d'autres soleils comme sous le vaste ciel des nuits ; et par-dessus l'atmosphère embrasée des feux du jour, pénétrer un univers nocturne. Insensiblement des vapeurs s'élevèrent des glaciers et formèrent des nuages sous mes pieds. L'éclat des neiges ne fatigua plus mes yeux, et le ciel devint plus sombre encore et plus profond. Un brouillard couvrit les Alpes ; quelques pics isolés sortaient seuls de cet océan de vapeurs ; des filets de neige éclatante, retenus dans les fentes de leurs aspérités, rendaient le granit plus noir et plus sévère. Le dôme neigeux du mont Blanc élevait sa masse inébranlable sur cette mer grise et mobile, sur ces brumes amoncelées que le vent creusait et soulevait en ondes immenses. Un point noir parut dans leurs abîmes ; il s'éleva rapidement, il vint droit à moi ; c'était le puissant aigle des Alpes, ses ailes étaient humides et son oeil farouche ; il cherchait une proie, mais à la vue d'un homme il se mit à fuir avec un cri sinistre, il disparut en se précipitant dans les nuages. SENANCOUR (1770-1846), Oberman (1804), Lettre VII.

« Lassé de « l'agitation des terres humaines », le narrateur s'est réfugié à Saint-Maurice dans les Alpes.

Au cours d'une excursion en montagne, il découvre ce qu'il appelle lui-même « un monde nouveau ». La journée était ardente, l'horizon fumeux, et les vallées vaporeuses.

L'éclat des glaces remplissait l'atmosphère inférieure de leurs reflets lumineux ; mais une pureté inconnue semblait essentielle à l'air que je respirais.

A cette hauteur, nulle exhalaison des lieux bas, nul accident de lumière ne troublaient, ne divisaient la vague et sombre profondeur des cieux.

Leur couleur apparente n'était plus ce bleu pâle et éclairé, doux revêtement des plaines, agréable et délicat mélange qui forme à la terre habitée une enceinte visible où l'oeil se repose et s'arrête.

Là l'éther indiscernable laissait la vue se perdre dans l'immensité sans bornes ; au milieu de l'éclat du soleil et des glaciers, chercher d'autres mondes et d'autres soleils comme sous le vaste ciel des nuits ; et par-dessus l'atmosphère embrasée des feux du jour, pénétrer un univers nocturne. Insensiblement des vapeurs s'élevèrent des glaciers et formèrent des nuages sous mes pieds.

L'éclat des neiges ne fatigua plus mes yeux, et le ciel devint plus sombre encore et plus profond.

Un brouillard couvrit les Alpes ; quelques pics isolés sortaient seuls de cet océan de vapeurs ; des filets de neige éclatante, retenus dans les fentes de leurs aspérités, rendaient le granit plus noir et plus sévère.

Le dôme neigeux du mont Blanc élevait sa masse inébranlable sur cette mer grise et mobile, sur ces brumes amoncelées que le vent creusait et soulevait en ondes immenses.

Un point noir parut dans leurs abîmes ; il s'éleva rapidement, il vint droit à moi ; c'était le puissant aigle des Alpes, ses ailes étaient humides et son oeil farouche ; il cherchait une proie, mais à la vue d'un homme il se mit à fuir avec un cri sinistre, il disparut en se précipitant dans les nuages. SENANCOUR (1770-1846), Oberman (1804), Lettre VII. Senancour appartient au premier mouvement romantique français.

Cet inadapté à la vie sociale, épris d'absolu et d'éternité, mais ne croyant pas en Dieu, confie sa détresse à une oeuvre autobiographique, Oberman.

L'extrait proposé ici évoque une ascension dans les Alpes.

La montagne commence en effet à être un lieu de tourisme : ses paysages grandioses attirent les poètes et les esprits romantiques, qui y trouvent un reflet de leurs tourments intérieurs.

La peinture d'un paysage pittoresque laisse bientôt entrevoir la découverte d'un autre monde, d'un « ailleurs », dont le symbolisme est à mettre en relation avec la personnalité de l'auteur par le biais des correspondances entre l'homme et la nature selon la formule chère au Romantisme. *** La montagne, auparavant inexplorée, commence au XIXe siècle à être appréciée et à devenir un lieu de tourisme.

Le pittoresque des paysages, du relief, des effets de lumière, des couleurs attire aussi bien les peintres que les écrivains. Le texte de Senancour évoque la découverte d'un paysage de montagne.

Le relief est particulièrement observé.

Le passage rendant compte d'une ascension évoque les différentes altitudes et les paysages divers entrevus.

Senancour passe rapidement sur « les vallées vaporeuses, les lieux bas » qu'il a hâte de quitter et qu'il contemple déjà au cours de l'ascension, ce qui explique le pluriel et l'absence de descriptions précises.

Seule la haute montagne le fascine avec son paysage glaciaire et les effets de lumière.

Le texte évoque deux fois « l'éclat des glaces » et « l'éclat des glaciers ».

A mesure que l'ascension se poursuit, le relief devient plus écrasant : « quelques pics isolés sortaient seuls ».

Le paysage réduit à l'essentiel est dominé par « la masse inébranlable » du mont Blanc. Le texte s'achève sur une note pittoresque, en évoquant un aigle, animal symbolique et quasi héraldique des Alpes et peut-être de l'auteur.

La description de l'oiseau insiste sur sa puissance, sa rapidité.

Le rythme de la phrase avec ses indépendantes coordonnées souligne la majesté de l'apparition : « Un point noir parut dans leurs abîmes ; il s'éleva rapidement, il vint droit à moi ; c'était le puissant aigle des Alpes [...] ». L'écrivain est également sensible aux effets de lumière.

Deux raisons peuvent l'expliquer.

La luminosité en montagne est d'une nature différente de la clarté en plaine et de plus, il est témoin pendant sa promenade d'un phénomène naturel qui transforme le paysage.

La lumière en haute montagne est d'une intensité particulière.

Les glaciers renvoient une lumière blanche presque insoutenable, qui se communique à l'ensemble du paysage : « l'éclat des glaces remplissait l'atmosphère inférieure de leurs reflets lumineux ».

La même densité de couleur s'observe à propos du ciel.

Il est d'un bleu « plus sombre et plus profond », qui s'oppose au « bleu pâle et éclairé » des ciels de plaine.

Senancour est témoin d'une brume de chaleur qui transforme le paysage et lui confère une dimension symbolique.

La première phrase du texte évoque le phénomène : « la journée était ardente, l'horizon fumeux et les vallées vaporeuses », avec trois adjectifs rendant compte de la qualité presque tactile de la lumière.

L'extension de la brume justifie l'organisation du texte en deux paragraphes.

La brume efface le monde d'en bas, caché par les nuages.

Elle accentue la singularité des reliefs et des couleurs et par conséquent la signification profonde du paysage. Celui-ci se caractérise par une palette de couleurs assez réduite.

Senancour note à plusieurs reprises le bleu foncé du ciel en altitude, les différents blancs de la neige et de la glace auxquels s'oppose « le granit plus noir et plus sévère » et enfin le moutonnement gris de la mer de nuages. Le texte, à la manière d'un tableau de l'école romantique allemande (on peut songer aux toiles de Caspar David Friedrich) peint un paysage de montagnes, mais le pittoresque et le réel sont dépassés car l'ascension révèle l'existence d'un ailleurs. La découverte d'un autre monde commence par l'absence de références au monde connu.

La plaine est quittée rapidement et l'ascension révèle progressivement un univers où les signes fonctionnent différemment.

Le monde habituel n'apparaît plus que comme une référence lointaine.

Des termes comme « n'était plus », l'opposition entre « les lieux bas » et « là » désignant la haute montagne le soulignent.

L'effacement est progressif : la brume de chaleur dérobe à la vue et, semble-t-il, au souvenir la vallée, puis les premières hauteurs de la montagne.. »

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