Rousseau, L'Émile
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Rousseau, L'Émile
« Vivre, c'est agir »
On ne songe qu'à conserver son enfant; ce n'est pas assez; on doit lui apprendre à se conserver étant homme, à supporter les coup du sort, à braver l'opulence et la misère, à vivre s'il le faut dans les glaces d'Islande ou sur le brûlant rocher de Malte. Vous avez beau prendre des précautions pour qu'il ne meure pa : il faudra pourtant qu'il meure; et, quad sa mort ne serait pa l'ouvrage de vos soins, encore seraient-ils mal entendus. Il s'agit moins de l'empêchement de mourir que de le faire vivre. Vivre, ce n'est pas respirer, c'est agir; c'est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de toutes les parties de nous-mêmes, qui donnent le sentiment de notre existence. L'homme qui a le plus vécu n'est celui qui a compté le plus d'années, mais celui qui a le plus senti la vie. Tel s'est fait enterrer à cent ans, qui mourut dès sa naissance. Il eût gagné de mourir jeune, s'il eût vécu du moins jusqu'à ce temps-là.
Toute notre sagesse consiste en préjugés serviles; tous nos usages ne sont qu'assujettissement, gêne et contrainte. L'homme civil naît, vit, meurt dans l'esclavage : à sa naissance on le coud dans un maillot; à sa mort ont le cloue dans une bière; tant qu'il garde la figure humaine, il est enchaîné par nos institutions.
On dit que plusieurs sages-femmes prétendent, en pétrissant la tête des enfants nouveau-nés, lui donner une forme plus convenable, et on le souffre! Nos têtes seraient mal de la façon de l'Auteur de notre être : il nous les faut façonner au dehors par les sages-femmes, et au dedans par les philosophes.
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