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Romain ROLLAND, Au seuil de la dernière porte, Entretiens sur les Évangiles, Correspondances et inédits, Éditions du Cerf, 1989.

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Romain ROLLAND, Au seuil de la dernière porte, Entretiens sur les Évangiles, Correspondances et inédits, Éditions du Cerf, 1989. Mais l'interprétation que Jésus donne de ces commandements est un tel « surpassement » (« nisi abundaverit justitia vestra plus quam scribarum et pharisaeorum... », V, 20) qu'elle apparaît comme leur désaveu absolu, et qu'elle se pose délibérément en antagonisme avec chacune de leurs prescriptions. L'intention d'opposition est manifeste. « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens... Et moi, je vous dis... » (V: 21-22 ; 27-28 ; 33-34 ; 38-39 ; 43-44). La formule revient, par cinq fois, identique, comme un défi. L'esprit combatif est évident. Jésus n'attend pas qu'on l'attaque. Il prend les devants, il arrache les masques aux « hypocrites dans les synagogues et dans les rues » (ou dans « les coins des places ») (VI, 2, 5, 16). Il est remarquable qu'il oppose au culte public et extérieur la prière secrète (VI, 6 et suiv.), seul à seul avec Dieu, et qu'il en donne même la formule immortelle (le Pater, VI, 9 et suiv.) ; il rétablit l'intimité avec le Père, il rend la confiance en lui (VII. 7 et suiv.). Et de tout le reste il fait peu de cas. Cette Loi et ces Prophètes, dont il a assuré qu'il ne changerait pas un iota, il ira jusqu'à les annuler, au bénéfice de cette seule règle intime : « Faites à autrui ce que vous voudriez qu'il vous fît. C'est toute la Loi et les Prophètes. » (« Haec est enim lex et prophetae. » VII, 12). C'est un enseignement tout révolutionnaire. Il ébranle les fondations du culte et de la justice officiels. Sans doute, c'est pour poser des conditions très strictes de « perfection » (V, 48) et de « porte étroite » (VII, 13), qui rendent l'accès plus difficile que toute ancienne Loi. Mais les foules qui écoutent sont plus sensibles aux destructions qu'elles entendent proclamer des puissances établies qu'aux sévérités annoncées de l'ordre nouveau. On les voit saisies d'admiration par le ton d'autorité du prophète, non moins que par le sens de ses paroles impérieuses. « Et factum est cum consummasset Jesus verba haec – quand Jésus eut terminé ce discours – admirabantur turbae super doctrina ejus : erat enim docens eos sicut potestatem habens et non sicut scribae eorum et pharisaei » (VII, 28-29). – « Sicut potestatem habens », comme s'il avait le pouvoir en main, s'opposant là aux prescriptions livresques des pharisiens. On dirait d'un agitateur social. Et il faut penser qu'aux alinéas qui précèdent ce discours, il est dit que ces « turbae », ces foules innombrables, étaient venues de toute la Palestine : « de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée, de la Transjordanie » (IV, 25). Il y a de quoi soulever l'effroi des éléments conservateurs et la méfiance des maîtres du pouvoir. Toute cette première partie de l'activité de Jésus dans Matthieu se déroule, au milieu du délire des foules, dans une atmosphère de miracles et dans l'attente ou l'annonce d'une sorte de Révolution. Prenons-y garde ! La réaction hostile des scribes et des pharisiens ne se manifeste (dans Matthieu) qu'assez tard, – au septième miracle (guérison du paralytique) où, l'entendant remettre ses péchés au malade, ils se disent « entre eux » : « Cet homme blasphème ! » (IX, 3.) De ce moment, ils ne cessent plus de l'observer avec malveillance (festin chez Matthieu, IX, 11), ils attribuent ses pouvoirs de thaumaturge aux démons (IX, 34 – X, 24), ils l'accusent de violer les règles du sabbat (XII, 2, 10), ils cherchent un prétexte à accusation.

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