Quelle utilité peut présenter la lecture des romans ?
Extrait du document
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Ce sujet est provocateur par son apparent cynisme et son pragmatisme.
Il paraît difficile de trouver une "utilité" aux
romans : l'activité littéraire est considérée dans les sociétés capitalistes libérales d'Europe comme la plus
improductive, tout comme l'activité artistique en général.
Depuis le XVIIe, plusieurs oeuvres très connues soulignent
même le danger qu'il y a à lire des romans.
Il faut traiter le terme "utilité" sur trois plans :
_pourquoi un roman est-il considéré comme inutile et même dangereux?
_"utile" dans le monde abstrait des valeurs : le roman peut avoir une "utilité" abstraite d'éveil des consciences
philosophiques et politiques
_"utile" dans la construction psychique du Moi : le roman présente une réelle utilité dans la formation de l'individu.
I.
La dénonciation du danger de lire des romans
_Mme Bovary se présente comme un plaidoyer contre la lecture des "mauvais romans" : Emma Bovary est la victime
de ses lectures qui lui tournent la tête et vont conditionner entièrement par la suite sa vision du monde.
Elle cause
sa propre ruine en ne pouvant accepter le bonheur banal qui lui est proposé et cause la ruine (au figuré et au
littéral) de sa famille en menant un train de vie au-dessus de ses moyens.
Le monde romanesque des chevaliers "qui
pleurent comme des urnes" (Mme Bovary) est dénoncé par Flaubert comme un idéal trompeur et ruineux.
_Don Quichotte amorce ce genre littéraire, qui dénonce les dangers de la lecture : de même que Mme Bovary
constitue une réaction à la vague de romans pour midinettes de l'époque de Flaubert, Don Quichotte est le produit
d'une époque qui voit s'écrouler l'univers de la chevalerie et la vague littéraire des romans chevaleresques se tarir et
tourner à vide.
Don Quichotte est l'archétype du personnage à qui les livres ont tourné la tête.
_Ces deux oeuvres présentent un important paradoxe : ce sont des romans! comment peuvent-elles dénoncer les
dangers de la lecture de romans? Ce type de dénonciation s'inscrit dans un genre littéraire, qui obéit à des codes
(en mettant en scène un héros marginal qui suit sa logique interne, mais est tôt ou tard rattrapé par la réalité).
Pour
dénoncer le danger des mauvais romans, le roman peut se révéler très utile.
II.
La fonction critique du roman
_En parlant de l'oeuvre de Kafka, Michel Dentan affirme : "Telle est la vertu de cette oeuvre, ferment de liberté; elle
ne laisse pas en repos le lecteur, elle l'arrache à l'inertie des habitudes, aux facilités du renoncement désespéré
comme à la tranquillité des certitudes trop vite conquises".
L'auteur lui-même, dans une lettre à Oskar Pollak datant
du 27.
01.
1904, dit cette phrase : "Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous".
Deux des trois romans
de Kafka (Le procès et Le château) choquent le lecteur en lui présentant un monde désespérant, teinté d'humour
très noir, où les êtres ne peuvent plus communiquer.
Ces oeuvres appellent le lecteur à réfléchir sur la condition
humaine, sur ses aspirations à la fois teintées d'idéal et vouées à l'échec.
_Sur le plan politique : le roman engagé tient un rôle important dans la littérature et doit contribuer à éveiller les
consciences, de manière pragmatique.
On peut donner en exemple le cycle des contre- utopies, dont les oeuvres les
plus célèbres sont : Le meilleur des mondes de Aldous Huxley, 1984 et La ferme des animaux de George Orwell,
Fahrenheit 461 de Ray Bradbury.
Ces oeuvres, produites pendant le "siècle des utopies" attirent l'attention sur le
danger politique que représente la fascination pour les modèles idéologiques.
III.
La fonction psychanalytique du roman
_La lecture comme jeu, Michel Picard : Il commence par définir l'acte de lire comme un jeu de dialogue entre le
lecteur et le texte, et entre le lecteur et lui-même (c'est-à-dire comment le lecteur gère les émotions que suscite
en lui la lecture).
Puis il donne une fonction psychanalytique au jeu (donc à la lecture) : l'enfant, au cours de son
éducation, expérimente toutes sortes de frustrations et de castrations symboliques (à commencer par la séparation
d'avec la mère).
Le jeu lui permet de retrouver ces sensations de frustration mais sur un mode ludique, réglé par des
codes et répétitif, ce qui lui apprend à gérer ses émotions.
La lecture plonge sans cesse le lecteur dans des
situations qui éveille dans son inconscient des souvenirs de frustration ou des fantasmes; cet inconscient (le Ca de
Freud) est nommé "lu" par Picard.
Parallèlement à lui, le "lectant" (assimilable au Surmoi) reste vigilant et replace
toujours les situations vécus dans le contexte de la lecture (par exemple, à la lecture d'un roman qui décrit un
parricide, notre "lu" vivra peut-être cette scène comme l'accomplissement d'un désir refoulé; mais le "lectant"
rappelle au lecteur qu'il ne s'agit que d'une scène fictive, et que sa réalisation est impossible dans la réalité).
Entre
ces deux instances, le "liseur" (ou Moi) est la somme des deux et s'ancre dans le quotidien (il est assis dans un
fauteuil et tourne les pages du livres).
Le jeu entre ces trois instances, lors de la lecture, permet au sujet de gérer
ses frustrations, ses fantasmes, ses pulsions, et de s'en rendre maître.
Le roman s'avère utile sur trois plans :
_le texte lui-même peut dénoncer vigoureusement des injustices ou des dangers qui touchent la société, et ainsi
procéder à l'éveil de la conscience politique.
Il peut aussi bouleverser l'esprit du lecteur en l'attaquant sur un plan
métaphysique.
_la lecture du texte opère efficacement sur le lecteur en favorisant chez lui des pulsions refoulées dans la vie
quotidienne, qu'il apprend à la fois à accepter et à reléguer dans le périmètre de la fiction.
_le fait d'écrire un roman permet de dénoncer le danger des romans eux-mêmes sur l'esprit d'un lecteur trop naïf, ou
dépourvu de recul (un lecteur qui aurait laissé toute latitude à son "Ca" sans laisser le Surmoi replacer ce qu'il lit
dans un contexte fictif)..
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