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Pierre Loti, Mon frère Yves

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Pierre Loti, Mon frère Yves Le livret de marin de mon frère Yves ressemble à tous les autres livrets de tous les autres marins. Il est recouvert d'un papier parchemin de couleur jaune, et, comme il a beaucoup voyagé sur la mer, dans différents caissons de navire, il manque absolument de fraîcheur. En grosses lettres, il y a sur la couverture : Kermadec, 2091. P. Kermadec, c'est son nom de famille ; 2091, son numéro dans l' armée de mer, et p, la lettre initiale de Paimpol son port d'inscription. En ouvrant, on trouve, à la première page, les indications suivantes : " Kermadec (Yves-Marie), fils d'Yves-Marie et de Jeanne Danveoch. Né le 28 août 1851, à Saint-pol-de-léon (Finistère). Taille, 1 m 80. Cheveux châtains, sourcils châtains, yeux châtains, nez moyen, menton ordinaire, front ordinaire, visage ovale. " Marques particulières : tatoué au sein gauche d'une ancre et, au poignet droit, d'un bracelet avec un poisson. " …Quand on appela : " 218 : Kermadec ! " on vit paraître Yves, un grand garçon de vingt-quatre ans, à l'air grave, portant bien son tricot rayé et son large col bleu. Grand, maigre de la maigreur des antiques, avec les bras musculeux, le col et la carrure d'un athlète, l'ensemble du personnage donnant le sentiment de la force tranquille et légèrement dédaigneuse. Le visage incolore, sous une couche uniforme de hâle brun, je ne sais quoi de breton qui ne se peut définir, avec un teint d'Arabe. La parole brève et l'accent du Finistère ; la voix basse, vibrant d'une manière particulière, comme ces instruments aux sons très puissants, mais qu'on touche à peine de peur de faire trop de bruit. Les yeux gris roux, un peu rapprochés et très renfoncés sous l'arcade sourcilière, avec une expression impassible de regard en dedans ; le nez très fin et régulier ; la lèvre inférieure s'avançant un peu, comme par mépris. Figure immobile, marmoréenne, excepté dans les moments rares où paraît le sourire ; alors tout se transforme et on voit qu'Yves est très jeune. Le sourire de ceux qui ont souffert : il a une douceur d'enfant et illumine les traits durcis, un peu comme ces rayons de soleil, qui, par hasard, passent sur les falaises bretonnes.

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