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Pensez-vous qu'on puisse limiter le domaine de la poésie à l'expression des sentiments mélancoliques ?

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C'est pourquoi l'expression de la mélancolie est un sentiment privilégié dans la poésie lyrique : ces vers de Sainte-Beuve "Mon âme est ce lac même où le soleil qui penche, Par un beau soir d'automne, envoie un feu mourant" joignent plusieurs sentiments propres au lyrisme : l'effroi causé par la mort, la mélancolie qui en résulte, la conjuration de cette mélancolie par la sublimation de l'union de l'âme avec la nature et par la poésie. - - Baudelaire, Les fleurs du Mal : il érige le "spleen" , archétype du sentiment mélancolique, en art de vivre. Dans la section "Spleen et idéal", la mélancolie est exploitée comme la source de visions apocalyptiques. Elle influe sur le mode de vie du poète qui se réfugie dans le haschisch et le sommeil, se levant à midi (voir "Tableaux parisiens" , poème "Rêve parisien", II). II. Ne pas réduire la poésie à cette définition - plusieurs écrivains ont attiré l'attention sur le danger qu'il y a à utiliser la poésie pour exprimer des sentiments mélancoliques; dans sa Lettre à un jeune poète, Rainer Maria Rilke conseille à son correspondant de ne pas choisir comme sujet le sentiment amoureux, qui a déjà été très utilisé et qui est difficile à rendre de façon originale; Roger Caillois, dans Approches de la poésie, dénonce l'abandon au lyrisme qui aboutit à une poésie boursouflée et naïve. -  Jules Laforgue exerce son ironie sur la poésie lyrique et sur ses principaux thèmes: "On ne peut plus s'asseoir, tant les bancs sont mouillées; crois-moi, c'est bien fini jusqu'à l'année prochaine, tant les bancs sont mouillées, tant les bois sont rouillés, et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine!..." L'hiver qui vient - A l'article "Soixante-treize mots" de L'art du roman, Milan Kundera qualifie les oeuvres de plusieurs romanciers (Proust, Kafka, Joyce) de "poésie anti-lyrique" qui a comme impératif: "chercher par dessus tout la beauté" mais sans "renoncer à [l'] l'essentielle ironie" du roman. Il se prononce globalement pour une ironie salvatrice qui évite la tentation du lyrisme et le danger du "kitsch". III.

« Sujet: Pensez-vous qu'on puisse limiter le domaine de la poésie à l'expression des sentiments mélancoliques ? Deux notions à définir : "poésie" qui peut désigner plusieurs choses : depuis les grands récits épiques d'Homère jusqu'aux textes en vers libres contemporains.

La mention des "sentiments mélancoliques" semble attirer l'attention sur une certaine poésie : la poésie lyrique.

La question peut se comprendre alors comme : peut-on limiter le domaine de la poésie au lyrisme? La notion "sentiments mélancoliques" évoque plusieurs thèmes chers à la poésie : la mélancolie vague, le "spleen", la peur de la mort, le sentiment amoureux malheureux.

On peut alors se demander si le choix de ces thèmes constitue une "limitation" pour la poésie. I.

Lieu privilégié pour l'expression de sentiments mélancoliques - la poésie est le genre littéraire qui permet l'épanchement de la subjectivité : on peut faire une distinction entre le roman qui embrasse la réalité et est le lieu du récit de la praxis, l'action sur le réel; (praxis est un mot grec qui peut se traduire par "action") tandis que la poésie vient du mot poiesis, mot grec qu'on pourrait traduire par "fabrication" : la poésie est un objet fabriqué, appréciable en soi, détaché du monde réel.

Elle permet l'introspection et le surgissement du "Je" du poète. - En témoigne le genre de la poésie lyrique : le mouvement romantique français conçoit la poésie comme le lieu du lyrisme. Le lyrisme traduit un état d'esprit du poète souffrant qui, par la contemplation de la Nature ou du monde extérieur, élève et sublime sa souffrance.

C'est pourquoi l'expression de la mélancolie est un sentiment privilégié dans la poésie lyrique : ces vers de Sainte-Beuve "Mon âme est ce lac même où le soleil qui penche, Par un beau soir d'automne, envoie un feu mourant" joignent plusieurs sentiments propres au lyrisme : l'effroi causé par la mort, la mélancolie qui en résulte, la conjuration de cette mélancolie par la sublimation de l'union de l'âme avec la nature et par la poésie. - - Baudelaire, Les fleurs du Mal : il érige le "spleen" , archétype du sentiment mélancolique, en art de vivre.

Dans la section "Spleen et idéal", la mélancolie est exploitée comme la source de visions apocalyptiques.

Elle influe sur le mode de vie du poète qui se réfugie dans le haschisch et le sommeil, se levant à midi (voir "Tableaux parisiens" , poème "Rêve parisien", II). II.

Ne pas réduire la poésie à cette définition - plusieurs écrivains ont attiré l'attention sur le danger qu'il y a à utiliser la poésie pour exprimer des sentiments mélancoliques; dans sa Lettre à un jeune poète, Rainer Maria Rilke conseille à son correspondant de ne pas choisir comme sujet le sentiment amoureux, qui a déjà été très utilisé et qui est difficile à rendre de façon originale; Roger Caillois, dans Approches de la poésie, dénonce l'abandon au lyrisme qui aboutit à une poésie boursouflée et naïve. - Jules Laforgue exerce son ironie sur la poésie lyrique et sur ses principaux thèmes: "On ne peut plus s'asseoir, tant les bancs sont mouillées; crois-moi, c'est bien fini jusqu'à l'année prochaine, tant les bancs sont mouillées, tant les bois sont rouillés, et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine!..." L'hiver qui vient - A l'article "Soixante-treize mots" de L'art du roman, Milan Kundera qualifie les oeuvres de plusieurs romanciers (Proust, Kafka, Joyce) de "poésie anti-lyrique" qui a comme impératif: "chercher par dessus tout la beauté" mais sans "renoncer à [l'] l'essentielle ironie" du roman.

Il se prononce globalement pour une ironie salvatrice qui évite la tentation du lyrisme et le danger du "kitsch". III.

La volonté de donner à la poésie une autre fonction - depuis Victor Hugo, la poésie est investie d'un rôle quasi mystique : le poète est vu par lui comme un guide (voir le poème "Fonction du poète"); la notion de Beau est assimilée à celle de Vrai, la poésie menant vers ces deux idéaux. - Les symbolistes et le mouvement amorcé par Mallarmé s'écartent également de cette vision de la poésie limitée au lyrisme : d'après l'étymologie "poiesis", fabrication, le poème est considéré comme un bel objet ciselé, un joyau fini qui n'a de valeur qu'esthétique. - On peut également se demander si le terme "limiter" est juste : choisir la forme poétique pour exprimer des sentiments mélancoliques ne limite pas la poésie.

Certains poètes l'utilisent de cette manière indirectement, ainsi Apollinaire : voir le poème "Les sept épées" dans Alcools qui passe par l'invention d'un folklore fantaisiste et médiéval, pour mettre à distance la souffrance causée par une rupture (cette souffrance est révélée à la dernière strophe du poème).

La dimension subjective qui a gouverné l'écriture de ce poème est dissimulée derrière une production de l'imagination. Une certaine poésie s'est fait le lieu privilégié de l'expression des sentiments, et la plupart d'entre eux (mal de vivre, souffrance amoureuse, peur de la mort) sont mélancoliques.

On peut cependant discerner, d'une part la poésie revendiquée comme ayant cette fonction (ainsi la poésie lyrique du XIXe) d'autre part la poésie revendiquée comme ayant une autre fonction; et enfin le mouvement qui consiste à tourner en dérision la poésie lyrique, qui en lui-même est ambigu : ce mouvement, dont Jules Laforgue est un bon représentant, ré-utilise les lieux communs de la poésie lyrique de manière ironique; mais il exprime tout autant une mélancolie très forte.. »

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