Devoir de Français

Michelet (l'homme et l'oeuvre)

Publié le 03/05/2022

Extrait du document

L' Histoire romaine fut publiée à la même époque. Michelet l'avait commencée en 1828, et ne l'acheva qu'a- près son voyage à Rome, d'où il rapporta une moisson de documents et de faits. L'ouvrage se divise en quatre parties : l'introduction qui est la description de i'Italie. d'après des souvenirs exacts; ['Origine et l'organisation de la cité : la république naissante; la Conquête du monde : la république conquérante, et la Dissolution de la cité : la république agonisante. Ce livre est très net et très neuf. Il a été écrit avant les grandes et savantes histoires de Duruy et Mommsen. Il a frayé 1a route à ces heureux successeurs, qui n’ont pas effacé, d'ailleurs, la mémoire de leur il ustre devancier.
Tous ces travaux étaient une préparation à un vas! e ouvrage où Michelet, ardemment patriote, rêvait de raconter les actions du peuple français. C'était une entreprise difficile et nouvelle ! Il s'y mit en 1831, et, de 1833 à 1844, publia les six premiers volumes. Ils con­tiennent les annales de notre pays jusqu'à la fin du règne de Louis XI, c'est-à-dire jusqu'à la fin du moyen âge. Au seuil de la Renaissance, Michelet s'arrêta pendant dix ans. Ce fut un malheur irréparable.- Quand il conti­nua ce monument. colossal, il n'était plus seulement l'au­teur de l' Histoire romaine, mais celui de l' Histoire de la Dévolution. Lhomme de parti gâtait l'historien. Aussi les onze volumes — qui, successivement, parurent

de 1855 à 1867 avec des titres spéciaux — n'ont-ils plus la sereine impartialité des six premiers. C'est dommage! sans ce contre-temps, VHistoire de France eût été l'œuvre èn prose la plus parfaite des âges modernes. Telle qu'elle est, toutefois, elle en impose par la profon­deur de la science et la magnificence du style. Elle reste un impérissable monument à la mémoire de la grande nation, étudiée pour la première fois « comme une âme et comme une personne ».
De VHistoire de la Révolution (1847 à 1853) et de VHistoire du XIXe siècle (1871) il y a peu de chose.à dire. La première, en 21 livres et 7 volumes, va de l'ouverture des États généraux à l'exécution de Robes­pierre. La seconde, interrompue par la mort, devait se terminer après la guerre franco-allemande. Michelet n'a pu la conduire que jusqu'à la bataille de Waterloo. Ce sont moins des œuvres historiques que de superbes poèmes et des pamphlets éloquents. Il y manque la chose essentielle : le calme et l'impartialité supérieure de l'historien.
Avec VHistoire romaine, les volumes consacrés au moyen âge sont donc ce qu'il y a de meilleur dans l'œuvre de Michelet. C'est d'après eux surtout que nous étudierons chez lui l'historien et l'écrivain.
Les « Extraits» : 1 ° Narrations et tableaux. Nous ne saurions, partager l’opinion d'un critique contemporain, Émile Faguet, lorsqu'il dit : « Michelet n'a fait ni portrait ni narration », ou quand il ajoute : « Je ne crois pasqu'il ait raconté, dans le sens ordinaire du mot, une bataille, une entrevue, une anecdote. » Evidemment, Michelet a une façon de narrer qui n'est pas commune et vulgaire. C'est une pein­ture en même temps qu'un récit. Mais cela n’empêche pas qu'il n'y ait dans son œuvre des narrations très complètes, très liées et fort longues. Pour n'en citer qu'un exemple, celle du duel de la Châtaigneraie et de Jarnac ne tient pas moins de quatorze pages dans certaines éditions (1). Nous pouvons donc étudier les narrations de Michelet.
Dans quelques-unes d’entre elles, une chose nous frappe: ce coloriste sait être simple d'une simplicité attique' et il obtient ainsi des effets surprenants. La Mort de saint Louis et la Folie de Charles Vl en sont de parfaits modèles ( 1 ). A part quelques expressions pittoresques ou poétiques, c'est d'une' apparente facilité. On s'imagine pouvoir en faire autant, et on s'aperçoit, à l'essai ou à l'examen, combien c’est chose malaisée que d'atteindre à ce degré de vérité et de vie.
D'autres, des récits de batailles et de massacres, sont plus mouvementées, plus violentes. Voyez les narrations célèbres de Courtrai, de Crécy et d'Azincourt. Michelet excelle à y insérer les traits ou les anecdotes qui se gravent dans l’esprit du lecteur et donnent à la journée historique sa physionomie véritable. A Crécy, accumulation de Goitations des chroniqueurs, prouvant la folie des chevaliers. A Courtrai, on remarque les fanfaronnades des seigneurs et l'attitude reli­gieuse des Brugeois qui communient avec de la terre, faute d'hosties ; et on est fixé. A Azincourt, c'est l'antithèse du début entre la pauvre armée de Henri V et celle des Fran­çais, « une iris éblouissante d'armures émaillées, d’écussons, de bannières » avec « les chevaux bizarrement déguisés dans l'acier et dans l'or >>; c'est la cavalerie, immobile dans la boue, « chevaux et chevaliers paraissant enchantés ou morts dans les armures » ; c'est l'égorgement des prisonniers, plus nombreux que les Anglais eux-mêmes, après la bataille; c'est l'immense fosse « de vingt-cinq verges carrées » qu’on recouvre d’une haie d'épines « de crainte des loups >> (2). Ailleurs, il y a tout un drame en quelques lignes, et rien n'est saisissant à cet égard comme la Bataille de Towton :
Le temps, nous dit l’historien, était celui d'un vrai printemps anglais, affreux ; la neige aveuglait, on ne voyait goutte à midi, on se tuait à tâtons. Ils n’en continuèrent pas moins consciencieu­sement leur sanglante besogne, le jour, la nuit, le second jour. L’idée de la propriété en péril, le home and property, les tint iné­branlables. Au soir enfin, les gens de la Rose sanglante quand les bras leur tombaient, virent venir encore un gros bataillon de pâles Roses, et ils comprirent qu’ils étaient morts; ils reculèrent lentement, mais ils reculaient dans une rivière ; Je Corck roulait derrière eux.

N’est-ce point beau d'une beauté shakespearienne, et ne rapporte-t-on pas de ces récits la sensation pénétrante de la chose vue ?
Les relations de massacres et de tueries sont plus éner­giques encore,' Le Sac de Rome est écrit en un style haché, heurté, haletant, qui donne l'impression matérielle du car­nage. Le Sac de Dinant, cette méthodique boucherie, nous fait assister à des exécutions, des pillages, des incendies accomplis « avec ordre dans le désordre » ; et Michelet groupe des détails, habilement choisis, qui indignent. Les pages sur la Destruction de Liège sont magistrales : les quatre cents bûcherons des Ardennes, forçant le camp de quarante mille hommes et faisant « plus que les Grecs aux Thermopyles », émerveillent; Louis XI, « le Louis XI des Cent Nouvelles nouvelles », goguenard devant Liége expirante dégoûte, et Charles le Téméraire est répugnant dans sa chasse des malheureux fugitifs : " Il courut Franchimont, brûlant les villages, fouillant les bois. Ces bois sans feuilles, l'hiver, un froid terrible lui livraient sa proie. Le vin gelait, les hommes aussi. Tel y perdit un pied ; un autre deux doigts de la main. Si les poursuivants souffrirent à ce point, que penser des fugitifs, des femmes, des enfants? » Ne sont-ce point là des pages épiques où l'ardente imagination de Michelet se donne librement carrière (1)?
Mais, à côté de ces tableaux vigoureux, à côté de fresques terribles comme la Jacquerie, à côté de peintures drama­tiques comme le Duel de Jarnac et le Meurtre du duc de Guise, il y a d'autres narrations où débordent l’émotion et la sen­sibilité. 11 y a surtout le Supplice de Jeanne d'Arc, la sainte fille du peuple dont Michelet est l'apôtre, et le Supplice de Savonarole à Florence. L'âme de l'historien est toute frémis­sante; il adore ces deux martyrs de la patrie et de l'huma­nité; et l'émotion lui dicte des phrases émouvantes sur le cœur de Savonarole, « ce cœur pur, plein de Dieu et de la patrie » qui, ramassé au milieu des cendres, « se retrouva entier dans la main d'un enfant (2) ».
2° Les pays et les races. —- Quand il s'agit, non plus d'un événement particulier, mais d'un pays, d'une classe d'hommes ou bien d'une race, Michelet est plus admirable encore. Son esprit généralisateur et sa divination de poète le servent ici supérieurement. Faguet dit justement que, dans « ces tableaux d'ensemble, l'artiste se retrouve et met Michelet hors pair ».
Prenons l'antiquité. Son tableau de Carthage est superbe. Avant Flaubert, qui s'en inspira, et mieux que Flaubert, ajoutons-le, il a compris « ce peuple dur et triste, sensuel et cupide, aventureux sans héroïsme ». Sa religion cruelle, ses richesses, les causes de sa faiblesse, il a tout deviné, tout rendu. Et il montre très bien « qu'une oligarchie financière tenant tout l'Etat dans sa main, l'argent était le roi et le Dieu de Carthage ». Nul également n'a plus vivement caractérisé les rudes Samnites; les savants Étrusques; les mercenaires grecs, bétail militaire, êtres sans scrupules qui lui rappellent les condottieri, et leurs chefs qui font songer aux aventuriers de la Renaissance: les Scanderberg, les Hawkood, les Car- magnola (1).
Pour les nations modernes, lisez les pages sur « l'indécise Allemagne», sans limites naturelles, dont il-vante le sym­bolisme, la sensibilité, << la facile abnégation de soi ». Lisez sa comparaison du« Romain antique et du Romain moderne »: il y note très bien la survivance des mêmes sentiments nationaux, des mêmes habitudes, des mêmes instincts (2). Lisez enfin ce qu'il dit des « gras Flamands, en terrés dans leurs épais velours, sous leurs pierreries, sous leur pesante orfèvrerie massive d ou sur le Suisse,« qui buvait comme il combattait » et qui, « en corps de canton, poussant devant lui la hallebarde, se lançant les yeux fermés, comme le taureau cornes basses, était plus fort que le cheval, et ne pouvait manquer de jeter bas le cavalier bardé de fer ». On voit aussitôt la race. On en comprend les qualités et les défauts.

« MICHELET (i 798-t87') CHEFS-D'OOUVI\IC HISTORIQUES 1.

MICHELET.

- Notice biographique, - Extraits historiques 8\ Notre France': Historique.

- Les Extraits : 1° Narrations et tableaux; 2° Les pays et les races; 3• Les hommes.

- Étude littéraire : L'historien.

- L'écrivain. Notice biographique (i).

- Jules Michelet naquit à Paris, le 21 août 1798, et passa une enfance assez triste dans l'ate­ lier de son père qui était imprimeur.

_Cependant, au milieu des livres, son esprit avide de savoir se développa et les dis­ positions merveilleuses qu'il montrait pour l'étude décidèrent ses parents à lui faire donner de l'instruction.

En se privant (1) Voici la liste des principaux ouvrages de Milobelet: 1° Histoire: Précis d'his­ toire moderne, f827; Histoire romaine, 1831; Introduction à l'Histo-lre uni• verse/le, 1831; Histoire de France, 1833 à 1844 et 1855 à 1867; Histoire de la Révolution, 1847 à.l.853 ; Histoire du XIX• siècle, commencée en 1871; 2• Œu­ vres philosophiqueJ, ,te.

: !"Oiseau, 1856; l'insecte, 1857; l'Amour, 1858 ; la Femme, 1859; la Mer, 1861 ; Bible de l'humanité, 1864; la Sorcière, 1862; 3° Œuvres de polémique: Les Jésuites, 1843; le Prêtre, etc., 1845; le Peuple, 184-6 ; 4° Œuvres de biographie et de voyages: Mon Journal, Ma Jeu111•sse, Rome, etc.

- Consulter spécialement sur Michelet: Gabdel Monod, ,lfichelP.t; T11ine, Essais dt critique; Corréard, AJichelet; Gallois, 11/ichelet ; Faguet, X1X• aiècle; R.

Doumic, Histoire de la littérature française ; L ..

Lcvraull, I' llisto,,.. u Let Genre• l!IWraires »),. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles