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Marcel Aymé, Travelingue, II.

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Marcel Aymé, Travelingue, II. Au retour du cimetière de Passy, la vie parut fort supportable et chacun fit taire sa douleur. Seule, Mme Lasquin, commençant à comprendre qu'elle perdait un homme aimable et très bon pour elle, menait encore un deuil très vif. Jusqu'à l'heure de la cérémonie, son chagrin était resté paisible. Pendant deux jours, sur le lit de parade où reposait le mort, elle avait contenté sa curiosité d'un visage hier redoutable et qui ne l'était plus du tout. Il n'avait pourtant pas changé. Elle s'étonnait de pouvoir le regarder sans le moindre trouble. Ainsi, la menace qu'elle avait toujours sentie peser sur elle en présence de son mari, n'était-elle pas dans la forme du visage. Souvent, elle avait souhaité qu'il laissât pousser sa barbe ou plus longue sa moustache, quelque chose enfin qui eût donné du moelleux à ses traits virils. Elle se rendait compte maintenant que le poil n'y eût rien fait. Tout était dans le tremblement de la vie, dans la vigilance d'un instinct mâle que son corps de femme refusait, même dans les périodes de grand calme. Devant la mort, enfin rassurée, elle avait éprouvé l'envie tardive de lui démontrer sa tendresse par des mots gentils et puérils, des jeux bénignement féminins, maintenant sans contrepartie. La famille était un peu gênée de ces larmes de Mme Lasquin, qui venaient à contretemps. Las de se relayer auprès d'elle dans le petit salon du rez-de-chaussée, las de répéter les mêmes choses d'une voix mal ajustée, on l'avait flanquée d'une amie de pension et d'une vieille cousine rabâcheuse et dévorée de curiosité, qui voulait savoir le fin mot de cette mort étrange et arrachait tous les détails.

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