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Marcel Aymé, Travelingue, I.

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Marcel Aymé, Travelingue, I. M. Lasquin vit remuer les lèvres, entendit proférer des sons, mais ne put rien saisir du contenu de ses paroles. Il s'y était presque attendu et néanmoins, il eut très peur. Sous son front, la douleur se faisait plus pesante et semblait gagner, propageant une sorte d'engourdissement. Il voulut encore la chasser, d'un geste insistant. Pierre se pencha pour regarder Micheline, sa jeune femme, qui était à trois chaises de lui et ajouta : "Tu te rappelles Mac Ardell à Chéops ?" Micheline répondit par oui, avec un sourire poli, mais sans marquer qu'elle s'intéressât au souvenir de Mac Ardell. A sa gauche était assis un ami de son mari, Bernard Ancelot, que Mme Lasquin avait eu l'attention d'inviter. C'était un garçon de vingt-quatre ans, d'un visage agréable et sérieux, presque triste. Son regard, empreint d'une grande douceur, s'animait parfois d'une flamme agressive, comme s'il se souvenait tout d'un coup d'avoir à se méfier. Il parlait peu et admirait honnêtement la femme de son ami. Il la voyait si belle, tout près de lui, la blonde, l'incarnate, il se représentait si vivement l'équilibre de ce jeune corps qu'il ressentait un peu d'amertume de ce que tant de joie et de pureté fût, en somme, bêtement réservé. D'autre part, il observait avec un plaisir désintéressé que Micheline n'avait pas cet air d'orgueil naïf et vulgaire qu'on voit si souvent aux femmes, dans les premiers temps d'un amour satisfait, lorsqu'elles se sentent sous le regard de l'amant.

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