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Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT (1594-1661) - La solitude

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Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT (1594-1661) - La solitude (extrait) O ! que j'aime la solitude ! Que ces lieux sacrés à la nuit, Eloignés du monde et du bruit, Plaisent à mon inquiétude ! Mon Dieu! Que mes yeux sont contents De voir ces bois qui se trouvèrent A la nativité du temps, Et que tous les Siècles révèrent, Etre encore aussi beaux et verts, Qu'aux premiers jours de l'Univers ! Un gai zéphyr les caresse D'un mouvement doux et flatteur. Rien que leur extrême hauteur Ne fait remarquer leur vieillesse. Jadis Pan et ses demi-dieux Y vinrent chercher du refuge, Quand Jupiter ouvrit les cieux Pour nous envoyer le Déluge, Et se sauvant sur leurs rameaux, A peine virent-ils les eaux. Que sur cette épine fleurie, Dont le printemps est amoureux, Philomèle au chant langoureux Entretient bien ma rêverie ! Que je prends de plaisir à voir Ces monts pendants en précipices, Qui, pour les coups du désespoir Sont aux malheureux si propices, Quand la cruauté de leur sort, Les force à rechercher la mort ! Que je trouve doux le ravage De ces fiers torrents vagabonds, Qui se précipitent par bonds Dans ce vallon frais et sauvage ! Puis glissant sous les arbrisseaux, Ainsi que des serpents sur l'herbe, Se changent en plaisants ruisseaux, Où quelque Naïade superbe Règne comme en son lit natal, Dessus un trône de cristal ! Que j'aime ce marais paisible ! Il est tout bordé d'alisiers, D'aulnes, de saules et d'osiers, A qui le fer n'est point nuisible. Les Nymphes y cherchant le frais, S'y viennent fournir de quenouilles, De pipeaux, de joncs et de glais ; Où l'on voit sauter les grenouilles, Qui de frayeur s'y vont cacher Sitôt qu'on veut s'en approcher. Là, cent mille oiseaux aquatiques Vivent, sans craindre en leur repos, Le giboyeur fin et dispos, Avec ses mortelles pratiques, L'un, tout joyeux d'un si beau jour, S'amuse à becqueter sa plume ; L'autre alentit le feu d'amour Qui dans l'eau même se consume, Et prennent tout innocemment Leur plaisir en cet élément. Jamais l'été, ni la froidure N'ont vu passer dessus cette eau Nulle charrette ni bateau, Depuis que l'un et l'autre dure ; Jamais voyageur altéré N'y fit servir sa main de tasse ; Jamais chevreuil désespéré N'y finit sa vie à la chasse ; Et jamais le traître hameçon N'en fit sortir aucun poisson. Que j'aime à voir la décadence De ces vieux châteaux ruinés, Contre qui les ans mutinés Ont déployé leur insolence ! Les sorciers y font leur sabbat ; Les démons follets s'y retirent, Qui d'un malicieux ébat Trompent nos sens et nous martyrent ; Là se nichent en mille trous Les couleuvres et les hiboux. L'orfraie, avec ses cris funèbres, Mortels augures des destins, Fait rire et danser les lutins Dans ces lieux remplis de ténèbres. Sous un chevron de bois maudit Y branle le squelette horrible D'un pauvre amant qui se pendit Pour une bergère insensible, Qui d'un seul regard de pitié Ne daigna voir son amitié. Aussi le Ciel juge équitable, Qui maintient les lois en vigueur, Prononça contre sa rigueur Une sentence épouvantable : Autour de ces vieux ossements Son ombre, aux peines condamnée, Lamente en longs gémissements Sa malheureuse destinée, Ayant pour croître son effroi Toujours son crime devant soi. Là, se trouvent sur quelques marbres Des devises du temps passé ; Ici, l'âge a presque effacé Des chiffres taillés sur les arbres ; Le plancher du lieu le plus haut Est tombé jusque dans la cave, Que la limace et le crapaud Souillent de venin et de bave ; Le lierre y croît au foyer, A l'ombrage d'un grand noyer. Là dessous s'étend une voûte Si sombre en un certain endroit, Que, quand Phébus y descendrait, Je pense qu'il n'y verrait goutte ; Le sommeil aux pesants sourcils, Enchanté d'un morne silence, Y dort, bien loin de tous soucis, Dans les bras de la Nonchalance, Lâchement couché sur le dos Dessus des gerbes de pavots. Au creux de cette grotte fraîche Où l'Amour se pourrait geler, Écho ne cesse de brûler Pour son amant froid et revêche ; Je m'y coule sans faire bruit, Et par la céleste harmonie D'un doux luth, aux charmes instruit, Je flatte sa triste manie, Faisant répéter mes accords A la voix qui lui sert de corps. Tantôt, sortant de ces ruines, Je monte au haut de ce rocher, Dont le sommet semble chercher En quel lieu se font les bruines ; Puis je descends tout à loisir, Sous une falaise escarpée, D'où je regarde avec plaisir L'onde qui l'a presque sapée Jusqu'au siège de Palemon, Fait d'éponges et de limon. Que c'est une chose agréable D'être sur le bord de la mer, Quand elle vient à se calmer Après quelque orage effroyable ! Et que les chevelus Tritons, Hauts, sur les vagues secouées, Frappent les airs d'étranges tons Avec leurs trompes enrouées, Dont l'éclat rend respectueux Les vents les plus impétueux. Tantôt l'onde, brouillant l'arène, Murmure et frémit de courroux, Se roulant dessus les cailloux Qu'elle apporte et qu'elle r'entraîne. Tantôt, elle étale en ses bords, Que l'ire de Neptune outrage, Des gens noyés, des monstres morts, Des vaisseaux brisés du naufrage, Des diamants, de l'ambre gris, Et mille autres choses de prix. Tantôt, la plus claire du monde, Elle semble un miroir flottant, Et nous représente à l'instant Encore d'autres cieux sous l'onde. Le soleil s'y fait si bien voir, Y contemplant son beau visage, Qu'on est quelque temps à savoir Si c'est lui-même, ou son image, Et d'abord il semble à nos yeux Qu'il s'est laissé tomber des cieux. ...

« Marc-Antoine Girard, sieur de Saint-Amant, « La solitude ». 1.

Ô ! que j'aime la solitude ! 2.

Que ces lieux sacrés à la nuit, 3.

Eloignés du monde et du bruit, 4.

Plaisent à mon inquiétude ! 5.

Mon Dieu! Que mes yeux sont contents 6.

De voir ces bois qui se trouvèrent 7.

A la nativité du temps, 8.

Et que tous les Siècles révèrent, 9.

Etre encore aussi beaux et verts, 10.

Qu'aux premiers jours de l'Univers ! 11.

Que j'aime à voir la décadence 12.

De ces vieux châteaux ruinés, 13.

Contre qui les ans mutinés 14.

Ont déployé leur insolence ! 15.

Les sorciers y font leur sabbat ; 16.

Les démons follets s'y retirent, 17.

Qui d'un malicieux ébat 18.

Trompent nos sens et nous martyrent ; 19.

Là se nichent en mille trous 20.

Les couleuvres et les hiboux. 21.

L'orfraie, avec ses cris funèbres, 22.

Mortels augures des destins, 23.

Fait rire et danser les lutins 24.

Dans ces lieux remplis de ténèbres. 25.

Sous un chevron de bois maudit 26.

Y branle le squelette horrible 27.

D'un pauvre amant qui se pendit 28.

Pour une bergère insensible, 29.

Qui d'un seul regard de pitié 30.

Ne daigna voir son amitié. Saint-Amant (1594-1661), poète baroque. Poète qui se différenciait des autres, se vantant par exemple d'ignorer le latin et le grec, mais de parler l'anglais, l'italien et l'espagnol.

Grand voyageur, il composa surtout des poèmes, des chansons à boire, des sonnets où il chante la joie de vivre et la bonne chère. *** Baroque : Vient du portugais barroco (= « perle de forme irrégulière ») et a pour origine le terme latin verruca (= « verrue ; défaut ; tâche »). Dans son Dictionnaire universel (1690), Furetière définit ainsi « Baroque » : « terme de joaillier, qui ne se dit que des perles qui ne sont pas parfaitement rondes ». Le baroque a ensuite pris un sens littéraire, culturel, esthétique… fin XVIe, début XVIIe siècle. Principaux thèmes de la littérature baroque : - Les masques et l'apparence ; - La mort > fragilité de l'instant et de la vie ;. »

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