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Les prophètes des temps nouveaux

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Prophètes des temps nouveaux ? Mais y eut-il jamais d'autres prophètes que des prophètes des temps nouveaux ? Et ce n'est que quand ceux-ci seront arrivés que l'on pourra dire qu'ils furent des prophètes, car si " nul n'est prophète en son pays ", il est encore plus sur que nul n'est prophète que d'un temps qui est autre que le sien. Sans doute faut-il remonter plus haut que Whitman, Melville, Lautréamont, Dostoïevski, Nietzsche pour trouver la naissance de cette tradition des prophètes des derniers temps, car bien des esprits voudraient ranger Sade à côté de Lautréamont, et Blake avec Nietzsche. Un Whitman personnifie à nos yeux le sens de la démocratie, ou comme il le dit de " l'en masse ", d'une démocratie cosmique qui englobe tous les êtres. Pour lui, il s'agit de développer en nous ce qu'il y a de plus individuel, mais par ce culte de l'individuel de retrouver l'universel. Et il ne faudrait pas croire que cet universel, cet " en masse " dont nous parlions soit unité indifférenciée ; il est fait au contraire de différences extrêmes ; et aussi bien qu'aux moments d'éclat sans mesure, aux cataractes, aux maelströms, Whitman s'intéresse aux stades intermédiaires, aurores, crépuscules, petits bruits infimes au sein de la nature immense.

« Les prophètes des temps nouveaux Prophètes des temps nouveaux ? Mais y eut-il jamais d'autres prophètes que des prophètes des temps nouveaux ? Et ce n'est que quand ceux-ci seront arrivés que l'on pourra dire qu'ils furent des prophètes, car si " nul n'est prophète en son pays ", il est encore plus sur que nul n'est prophète que d'un temps qui est autre que le sien. Sans doute faut-il remonter plus haut que Whitman, Melville, Lautréamont, Dostoïevski, Nietzsche pour trouver la naissance de cette tradition des prophètes des derniers temps, car bien des esprits voudraient ranger Sade à côté de Lautréamont, et Blake avec Nietzsche. Un Whitman personnifie à nos yeux le sens de la démocratie, ou comme il le dit de " l'en masse ", d'une démocratie cosmique qui englobe tous les êtres.

Pour lui, il s'agit de développer en nous ce qu'il y a de plus individuel, mais par ce culte de l'individuel de retrouver l'universel.

Et il ne faudrait pas croire que cet universel, cet " en masse " dont nous parlions soit unité indifférenciée ; il est fait au contraire de différences extrêmes ; et aussi bien qu'aux moments d'éclat sans mesure, aux cataractes, aux maelströms, Whitman s'intéresse aux stades intermédiaires, aurores, crépuscules, petits bruits infimes au sein de la nature immense. C'est un autre chantre cosmique que nous découvrons dans Melville.

Et la synthèse du bien et du mal que voulait opérer Whitman, il veut lui aussi l'opérer, mais de façon différente, en séparant d'abord le bien et le mal, en montrant leur lutte créatrice et la métamorphose de l'un dans l'autre.

Parti des ambiguïtés, il va aux antinomies et à la transformation des termes de l'antinomie l'un dans l'autre...

Ses créatures sont avant tout des personnifications de l'énergie, de cette énergie qui apparaît au fond de l'univers et dont nous voyons les deux aspects contraires, nécessaires l'un à l'autre, et qui rayonnent l'un par l'autre.

Dans les personnages de Dostoïevski, nous retrouverions la même dualité et la même unité.

Ces humiliés et ces offensés, ces coupables, et d'autre part ces saints, ce sont encore les deux visages de l'humanité ; et au fond de l'abjection des uns et de l'innocence sacrée des autres, c'est un fond identique que nous trouvons. Nietzsche a reconnu dans Dostoïevski, un de ses maîtres en psychologie.

Et lui aussi il a voulu saisir une éthique plus profonde.

Ce n'est plus l'homme chrétien ; c'est l'homme qui a triomphé du christianisme, et non seulement du christianisme, mais de toute pensée qui oppose un arrière monde à ce monde-ci.

Et ce monde-ci, cesse d'être un monde dominé par la raison ; c'est un monde absurde, mais que néanmoins nous pouvons consacrer, auquel finalement nous pouvons dire " oui ", comme Whitman disait " oui " à son monde. Les visions et les prophéties que nous entrevoyons dans Melville, dans Dostoïevski et dans Nietzsche peuvent nous découvrir un monde de terreur, c'est celui sur lequel un Lautréamont ouvre nos yeux.

La question est dès lors de savoir comment triompher de cette terreur. Nous pourrions dire que la réalité a dépassé en horreur pendant le nazisme les prophéties mêmes d'un Lautréamont, et que l'attraction que pouvait exercer le mal s'est changée, sous l'influence de la réalité elle-même, en répulsion. Mais peut-être avons-nous raccourci indûment la liste des prophètes.

A côté de la vision whitmanienne du monde, nous pourrions placer la vision claudélienne, d'une " octave de la création " où toutes choses sont impliquées les unes dans les autres ; et peut-être que peu importe que cet ensemble de la création soit chez Claudel dominé par Dieu ; ce qui est plus essentiel, c'est cette idée de l'unité des choses opérée grâce à la communication directe des unes aux autres ; et cette conception, qui est celle d'un Whitman, qui est celle d'un Claudel, nous la retrouverions sous une forme plus conceptuelle, mais qui n'est pas pour cela moins profonde, chez un Whitehead. Un D.-H.

Lawrence nous rend présent le sens du corps, ce qu'on a pu appeler la sagesse du corps ; et d'une façon assez analogue à celle de Melville ou de Dostoïevski, nous fait découvrir celui qu'il appelle le Dieu sombre, au principe de l'univers. Et c'est aussi dans Lawrence que l'on trouverait des réflexions sur l'amour qui essaient de dissocier le désir et la tendresse, qui critiquent dans l'amour ce qu'il appelle la trop grande proximité, qui contrairement à la conception romantique de l'amour veut découvrir la présence de deux personnes irréductibles en face l'une de l'autre. Nous avons parlé de Melville et de Dostoïevski ; mais peut-être aussi faudrait-il faire intervenir ici un Kafka qui prolonge la méditation de Dostoïevski dans le souterrain, et qui la transforme en une sorte de question à Dieu, à un Dieu absent et présent tel que Kierkegaard nous en donne l'idée. Et il faudrait mentionner ce qu'on pourrait appeler les prophètes de la science : un Poe, un Valéry qui font entrevoir un domaine de pures relations et de pures possibilités, les prophètes de la poésie, un Nerval et un Novalis, un Hölderlin, un Mallarmé, et ceux dont la prophétie reste implicite dans leurs oeuvres, les prophètes qui ne viennent pas " en forme de prophètes ", un Cézanne, un Van Gogh, l'un nous faisant saisir la substructure des choses, l'autre leur flamboiement. La prophétie d'un Whitman peut sans doute être complétée par celle d'un Tolstoï et peut paraître se préciser et se raffermir, en même temps qu'elle perd par là une partie de sa force romantique, dans celle de Karl Marx. Nous avons parlé de Lautréamont, nous avons parlé de Nietzsche.

Nous pouvons voir un Rimbaud comme une jonction entre leurs deux enseignements, en même temps qu'il rejoint les intuitions d'une sorte de théologie négative et qu'il efface ses propres pas vers une transcendance indicible. Un théologien à qui on demandait quels sont les critères par lesquels on peut distinguer un vrai prophète d'un faux répondait que le vrai prophète est celui qui en temps de malheur prophétise les temps de bonheur et en temps de bonheur prophétise les temps de malheur. Mais un Dostoïevski, un Nietzsche, même un Melville, refusent de tels critères, car ce qu'ils prophétisent est au-delà du bonheur et du malheur, et eux-mêmes sont situés au-delà de l'un et de l'autre.

Whitman d'une part, Lautréamont de l'autre sont l'un prophète du bonheur, l'autre prophète du malheur.

Mais peut-être les trois autres que nous avons mentionnés sont-ils plus grands, puisque leur prophétie est située au-delà de l'optimisme de l'un comme du pessimisme de l'autre.

Et la prédiction d'un Rimbaud reste presque effacée par lui-même. Mais rappelons-nous l'idée de Nietzsche sur l'éternel retour qui coïncide au-delà de la Recherche du temps perdu de Proust, avec les Ricorsi tels que les a vécus Joyce.

Peut-être faut-il dépasser l'idée de prophétie s'il est vrai que pour le surhomme le temps retournera, s'il est vrai que le vrai prophète c'est celui qui ne prophétise plus rien, celui qui témoigne de la richesse infinie et de l'infinie pauvreté de l'instant présent, celui qui témoigne de lui-même devant la transcendance, une transcendance que peut-être lui-même il crée.. »

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