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Les plus désemparés sont les chants les plus beaux / Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. Musset, Nuit de Mai ?

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Les dangers de la complaisance. De toute façon la thèse de Musset est dangereuse, car elle ouvre la porte à toutes les complaisances doloristes, aux génies méconnus, à tous ceux qui considèrent leurs souffrances comme un signe infaillible de distinction. C'est un des éléments du « bovarysme ». La littérature féminine se délecte volontiers de ces raffinements souvent un peu gratuits (Mme de Sévigné, George Sand, Desbordes-Valmore). 3. L'inutilité d'un « palmarès ». Enfin, pourquoi établir une hiérarchie aussi dogmatique? Pourquoi les plus désespérés seraient-ils les plus beaux? En un sens, comme le dit quelque part Alain, la souffrance est chose facile : il suffit de consentir à descendre la pente. Plus virils sont les chants d'espoir : voir Claudel, Péguy {La Petite Espérance), voir encore les écrivains qui, sans être aussi optimistes, mettent leur coquetterie à présenter allègrement un monde auquel ils ne font pas confiance (Giraudoux).

« Introduction. Depuis le romantisme, non seulement bien des oeuvres poétiques sont consacrées à la souffrance, mais encore beaucoup de poètes vont jusqu'à croire qu'elle est par excellence la source de l'inspiration : « Les plus désespérés sont les chants les plus b e a u x Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.

» I.

La théorie romantique de la souffrance, notamment chez Musset. 1.

D'abord un problème de culture, ou plutôt d e réaction contre cette culture.

Musset souffre — c o m m e les autres romantiques — d e l'insincérité de la lyrique néo-classique du XVIIIe siècle.

Il l'attaque indirectement dans La Nuit de Mai, où, à propos d e l'allégorie du pélican et des souffrances des poètes, il écrit : « Ce n'est pas un spectacle à dilater le coeur »; en d'autres termes, la poésie n'est pas un amusement, elle est charnelle et sanglante. 2.

Ensuite un problème moral et religieux.

Pour Musset la souffrance est essentiellement une purification.

Cette théorie, très importante dans la pensée romantique, a été mise au point notamment par Joseph de Maistre (Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821) et de Bonald : reprenant et majorant l'idée chrétienne suivant laquelle la souffrance est une expiation des péchés, ces penseurs vont jusqu'à soutenir qu'elle est indispensable dans une société, puisqu'elle purifie celle-ci des fautes collectives et particulières.

Le Bourreau est le personnage sacré par excellence, puisqu'il contribue à cette mission divine de purification.

Le poète est dans une situation analogue : il est à la fois son bourreau et sa victime, il est une sorte de « bouc émissaire », choisi par Dieu pour souffrir, et ainsi pour expier les fautes des autres h o m m e s .

I l e s t donc en quelque sorte « maudit », mais Dieu lui réserve, en échange de son sacrifice, un sort privilégié.

Du reste, son martyre n'est que l'envers de sa pitié pour ses frères.

On reconnaît là des idées qui seront reprises par Baudelaire, notamment dans le poème intitulé Bénédiction. 3.

Enfin un problème d'esthétique.

Si « les chants désespérés sont les chants les plus beaux », c'est parce qu'ils sont ceux qui viennent le plus directement du coeur.

Or le poète, qui est poète surtout à cause de sa souffrance, crée directement avec son coeur; le coeur est donc à la fois créateur et organe de souffrance : « Ah! Frappe-toi le coeur! C'est là qu'est le génie! C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour.

» (Musset, A mon ami Edouard .) II.

Valeur générale de la thèse de Musset. Malgré son caractère un peu démodé, ce point de vue de Musset n'en est pas moins riche de perspectives authentiquement poétiques. 1.

Les chocs révélateurs de la souffrance.

Psychologiquement, il est certain que la souffrance provoque un choc q u i m è n e souvent les écrivains à la limite d'eux-mêmes (voir Hugo, A Villequier; voir Musset lui-même, poète d'envergure encore limitée avant son aventure avec George Sand, qui devient le grand poète des Nuits, parce que sa maîtresse l'a fait souffrir). 2.

Toute profondeur humaine est douloureuse.

D'autre part, si la poésie lyrique est lumière profonde dans le coeur de l'homme, elle ne peut qu'être douloureuse.

A un certain degré d'intensité et de profondeur, les sentiments humains sont souvent source de douleur, même l'amour heureux : voir à ce sujet le b e a u p o è m e d'Aragon (Il n'y a pas d'amour heureux, La Diane française, 1944) : « Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri » 3.

La souffrance signe d'inquiétude.

Enfin toute souffrance, sans être a priori signe d'intelligence ou d e distinction, est a priori signe d'inquiétude, signe q u e le poète n'est p a s en accord béat avec le m o n d e , signe qu'il regrette ce qui n'est pas et pourrait être : par e x e m p l e , l a souffrance de Vigny, hanté par le problème du Mal, par le silence de Dieu.

Toute poésie chrétienne est dans une certaine mesure souffrance, souffrance d'un monde imparfait, de cette « vallée de larmes » où le Christ est souffleté sans cesse par le péché (cf. la souffrance de Baudelaire, qui est avant tout dégoût du « spectacle ennuyeux de l'immortel péché », Le Voyage). Si donc la poésie est un regard en profondeur jeté sur l'homme, la souffrance est incontestablement une des sources les plus poétiques. III.

Nuances et réserves. Musset est trop absolu. 1.

La nécessité d'un recul.

En admettant que Musset ait raison d'attribuer à la souffrance une valeur inspiratrice, il est à peu près certain qu'au moment même où on l'éprouve elle n'est pas créatrice.

Il faut au poète un apaisement, un recul : « Sois sage, ô m a douleur, et tiens-toi plus tranquille », ce mot d e Baudelaire est plus ou m o i n s le mot d e tout poète désireux de transformer ses sanglots en de purs sanglots.

Diderot va même jusqu'à soutenir que le grand poète n'a pas le temps d'être sensible.

Il est sûr, en tout cas, que le poète doit prendre un certain recul avec sa blessure : Musset lui-même laisse la sienne se cicatriser avant d'écrire les Nuits, car, tant qu'il souffre son martyre, il avoue son impuissance : « ...

le moins que j'en pourrais dire, Si je l'essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.

» Dans certains cas même, c'est en écrivant que l'auteur se libère, de sa peine : écrire, c'est dès lors la supprimer en la mettant au jour, c'est lui donner la stylisation d'une oeuvre d'art (dans Les J e u n e s Filles d e Montherlant, l'écrivain Costals, qui a souffert d u fait de Solange, se libère d'elle en faisant une oeuvre d'art de leur aventure). 2.

Les dangers de la complaisance.

De toute façon la thèse de Musset est dangereuse, car elle ouvre la porte à toutes les complaisances doloristes, aux génies méconnus, à tous ceux qui considèrent leurs souffrances comme un signe infaillible de distinction.

C'est u n d e s éléments du « bovarysme ».

La littérature féminine se délecte volontiers de ces raffinements souvent un peu gratuits (Mme de Sévigné, George Sand, Desbordes-Valmore). 3.

L'inutilité d'un « palmarès ».

Enfin, pourquoi établir une hiérarchie aussi dogmatique? Pourquoi les plus désespérés seraient-ils les plus beaux? En un sens, comme le dit quelque part Alain, la souffrance est chose facile : il suffit de consentir à descendre la pente.

Plus virils sont les chants d'espoir : voir Claudel, Péguy {La Petite Espérance), voir encore les écrivains qui, sans être aussi optimistes, mettent leur coquetterie à présenter allègrement un monde auquel ils ne font pas confiance (Giraudoux). Conclusion. Pensée malgré tout un peu romantique au mauvais sens du terme, culte moderne et un peu décadent de la douleur.

L'Antiquité a beau être souvent pessimiste, elle n'a jamais ce culte de la douleur.

Pour elle être poète, .c'est inspirer aux homm es les grands sentiments humains.. »

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