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La recherche de l'aventure vous paraît-elle déterminée par le goût du risque ou bien par la force de l'imaginaire ?

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L'aventurier qui pari ne cherche pas à gagner quoi que ce soit: il part pour partir, pour exercer sa liberté absolue. Et c'est ainsi que Claude Roy constate que «les conquérants de Tailleurs sont les conquérants de l'inutile ». Dans un monde où la rentabilité et l'utilité sont des maîtres mots, l'aventure est bien un défi lancé par la capacité de liberté de l'individu. En effet, ce qui frappe dans la recherche de l'aventure, c'esl qu'on y rencontre des personnalités individuelles marquées. L'individualisme est considéré dans nos sociétés d'un mauvais oeil, comme danger pour la cohésion sociale que trop d'initiatives individuelles tendraient à fragiliser. Or, la recherche de l'aventure est bien une nouvelle forme de l'individualisme, celle qui permet d'échapper aux étiquettes dont nous affuble la société, pour nous confondre dans la masse. L'aventurier est alors celui qui sort des chemins battus, qui accepte de se perdre, seul, pour se retrouver, trouver ce qu'il est vraiment, sans rendre de comptes à la société. Les obstacles auxquels il s'affronte sont plus intérieurs qu'extérieurs : sa capacité d'adaptation, sa résistance à la solitude, à l'inconfort, sa perception de la nature et du monde des éléments. C'est ainsi qu'Antoine de Saint-Exupéry, pilote et écrivain, passa pour fantaisiste auprès de ses collègues de vol pour qui l'avion n'était qu'un moyen de transport ou une arme de guerre. Tandis que pour l'auteur de Vol de Nuit, c'était l'instrument de l'aventure individuelle.

« Chaque année, plusieurs millions de Français lisent des romans d'aventure, montrant combien la recherche de l'aventure, réelle ou livresque, fait partie intégrante de notre imaginaire contemporain.

On peut se demander à quelles motivations elle obéit : goût du risque ou force de l'imaginaire, Les deux sans soute, dans un mouvement de liberté individuelle. Nous verrons donc d'abord comment, dans une société trop bien policée, le goût du risque motive l'attrait de l'aventure.

Mais l'aventure n'est pratiquée que par quelques-uns : la force de l'imaginaire est sans doute la base de toute cette quête. Enfin, il apparaît que cette aspiration est la manifestation la plus spectaculaire de l'exercice de liberté que revendique tout individu. *** La société occidentale s'est construite sur la notion de sécurité, de régularité.

Il s'agit d'assurer une relative stabilité aux citoyens en échange d'une obéissance absolue au système.

Dans le monde du travail, les salariés préfèrent une activité stable, même ennuyeuse, plutôt qu'un emploi passionnant mais où les risques du chômage sont grands.

Les loisirs même sont organisés par la société, comme en témoignent les voyages « organisés ».

Mais les hommes s'y ennuient et se sentent coincés dans un tel monde qui abolit tout imprévu et toute fantaisie.

Et la recherche de l'aventure jouit d'un prestige inégalé de nos jours, comme en témoigne par exemple le rallye ParisDakar ou les tours du monde à la voile.

Il s'agit d'un réel facteur sociologique : « être libre, pleinement, ce n'est point exercer son droit de vote, de parole, d'association, c'est accomplir tout ce que nous dicte notre instinct.

Car il existe en nous un fond de violence, de dépravation d'autant plus virulent qu'il est réprimé par les convenances, la loi, la vie en société », écrit Edgar Morin dans l'Esprit du temps.

Les hors-la-loi nous fascinent bien plus que les citoyens honnêtes, à en croire l'appétit que nous avons des romans policiers et des films à sensations. L'aventurier se soumet au hasard et refuse de connaître à l'avance ce qui l'attend.

Mais surtout il affronte des obstacles dont le nombre et la gravité font ou défont l'importance et la valeur de son aventure.

Ainsi, A.

Bombard ou G.

D'Aboville, lors de leurs traversées de l'océan dans des conditions précaires, ont-ils vécu chaque jour avec la préoccupation de surmonter les obstacles toujours nouveaux que leur imposait la mer.

L'aventurier accepte le pire pourvu qu'il poursuive son aventure.

Cette quête est tout aussi mentale que physique et se rapproche de l'exigence de Charles Baudelaire dans Les Fleurs du Mal : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel qu'importe ? / Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! ».

Bien plus, il va provoquer la difficulté, s'arranger pour se trouver confronté à des difficultés qui feront de lui justement un aventurier.

C'est ainsi que Perken et Claude, dans La Voie royale d'André Malraux, privilégieront les expériences limites, les situations les plus périlleuses pour s'enfoncer plus loin dans la forêt cambodgienne.

Le vol des statues khmères, les armes à faire passer dans des tribus, tout cela ne sera plus que prétexte et disparaîtra au profit de l'aventure pour elle-même. L'aventurier va jusqu'au bout de ses forces ; il est à ce point gagné par le goût du risque qu'il n'hésite pas à y sacrifier sa vie, la mort étant aussi le signe manifeste de l'aventure.

Dans La Voie royale toujours, la mort de Perken est la clef du roman : elle est l'aboutissement de l'aventure qui devient ainsi symbolique de la vie humaine, absurde, soumise au hasard.

A un moindre degré, nos contemporains qui s'adonnent aux sports réputés dangereux connue le rafting, le parapente ou l'escalade recherchent eux aussi la difficulté, l'aventure résidant dans la palpitation que l'on éprouve à se trouver face à l'obstacle et à devoir le résoudre immédiatement.

Henri Michaux, dans Ecuador, raconte sa descente du fleuve Napo en pirogue, alors même qu'il n'aurait jamais dû entreprendre une aventure aussi périlleuse ; mais de la sorte, il donne tort aux médecins qui lui avaient promis la mort s'il s'y risquait. L'aventurier est celui qui veut se confronter avec l'absolu de ses forces, jusqu'à sa mort et la recherche de l'aventure est donc bien déterminée par le goût du risque.

Mais les aventuriers ne sont pas tous des casse-cou : il faut aussi prendre en compte la dimension mythique et psychologique de l'aventure, la force de l'imaginaire. *** Si le goût du risque semble inséparable de la recherche de l'aventure, une des raisons profondes de cette quête est bien la force de l'imaginaire qui est comme une bouffée d'idéal dans un univers gouverné par le matérialisme.

Qu'il s'agisse des aventuriers eux-mêmes ou des contrées qu'ils traversent, le rêve est au rendez-vous.

« Avant d'être un paradis ou jardin des délices, écrit Claude Roy, un pays lointain, c'est d'abord ce qui nous est refusé, ce qui est hors de portée de nos regards et de nos mains », ce qui appartient donc à l'imagination et au rêve.

Et nous avons de fabu-leux modèles - fabuleux parce qu'ils nous viennent des fables - : Ulysse, Robinson Crusoé sont les familiers de tous les amateurs d'aventures.

La force de l'imaginaire pousse certains à reprendre le chemin des chercheurs d'or en Californie, où l'on peut, dans des relais-étapes, louer un tamis et partir plusieurs jours scruter les rivières pour en rapporter quelque hypothétique pépite.

Ces chercheurs savent bien qu'ils ne s'enrichiront pas de la sorte, mais ils revivent l'exaltation des premiers colons du Far West. Nous éprouvons les mêmes frissons que les héros de la littérature ou du cinéma, nous partageons leurs souffrances, nous triomphons avec eux.

Cette identification est d'autant plus efficace que leurs exploits ne seront jamais les nôtres : nous devenons héros et demi-dieux grâce à eux.

Les moyens modernes mis en œuvre pour satisfaire notre besoin d'aventure passent le plus souvent par les médias, mode de communication entre les hommes, comme les épopées de l'Antiquité (L'Odyssée) et du Moyen Age (les romans des Chevaliers de la Table Ronde) le faisaient dans leur temps.

Nous pouvons en prendre pour exemple la multiplication des revues exaltant tel ou tel type d'aventure contenue dans la pratique d'un sport dangereux.

La parution toujours plus abondante de livres ou la sortie de films d'aventures (comme Les Aventuriers de l'arche perdue, qui en est à son troisième épisode) permet de laisser libre. »

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