La recherche de l'aventure vous paraît-elle déterminée par le goût du risque ou bien par la force de l'imaginaire ?
Extrait du document
«
Chaque année, plusieurs millions de Français lisent des romans d'aventure, montrant combien la recherche de
l'aventure, réelle ou livresque, fait partie intégrante de notre imaginaire contemporain.
On peut se demander à
quelles motivations elle obéit : goût du risque ou force de l'imaginaire, Les deux sans soute, dans un mouvement de
liberté individuelle.
Nous verrons donc d'abord comment, dans une société trop bien policée, le goût du risque motive l'attrait de
l'aventure.
Mais l'aventure n'est pratiquée que par quelques-uns : la force de l'imaginaire est sans doute la base de
toute cette quête.
Enfin, il apparaît que cette aspiration est la manifestation la plus spectaculaire de l'exercice de liberté que
revendique tout individu.
***
La société occidentale s'est construite sur la notion de sécurité, de régularité.
Il s'agit d'assurer une relative
stabilité aux citoyens en échange d'une obéissance absolue au système.
Dans le monde du travail, les salariés
préfèrent une activité stable, même ennuyeuse, plutôt qu'un emploi passionnant mais où les risques du chômage
sont grands.
Les loisirs même sont organisés par la société, comme en témoignent les voyages « organisés ».
Mais
les hommes s'y ennuient et se sentent coincés dans un tel monde qui abolit tout imprévu et toute fantaisie.
Et la
recherche de l'aventure jouit d'un prestige inégalé de nos jours, comme en témoigne par exemple le rallye ParisDakar ou les tours du monde à la voile.
Il s'agit d'un réel facteur sociologique : « être libre, pleinement, ce n'est
point exercer son droit de vote, de parole, d'association, c'est accomplir tout ce que nous dicte notre instinct.
Car il
existe en nous un fond de violence, de dépravation d'autant plus virulent qu'il est réprimé par les convenances, la
loi, la vie en société », écrit Edgar Morin dans l'Esprit du temps.
Les hors-la-loi nous fascinent bien plus que les
citoyens honnêtes, à en croire l'appétit que nous avons des romans policiers et des films à sensations.
L'aventurier se soumet au hasard et refuse de connaître à l'avance ce qui l'attend.
Mais surtout il affronte des
obstacles dont le nombre et la gravité font ou défont l'importance et la valeur de son aventure.
Ainsi, A.
Bombard
ou G.
D'Aboville, lors de leurs traversées de l'océan dans des conditions précaires, ont-ils vécu chaque jour avec la
préoccupation de surmonter les obstacles toujours nouveaux que leur imposait la mer.
L'aventurier accepte le pire
pourvu qu'il poursuive son aventure.
Cette quête est tout aussi mentale que physique et se rapproche de l'exigence
de Charles Baudelaire dans Les Fleurs du Mal : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel qu'importe ? / Au fond de
l'Inconnu pour trouver du nouveau ! ».
Bien plus, il va provoquer la difficulté, s'arranger pour se trouver confronté à
des difficultés qui feront de lui justement un aventurier.
C'est ainsi que Perken et Claude, dans La Voie royale
d'André Malraux, privilégieront les expériences limites, les situations les plus périlleuses pour s'enfoncer plus loin dans
la forêt cambodgienne.
Le vol des statues khmères, les armes à faire passer dans des tribus, tout cela ne sera plus
que prétexte et disparaîtra au profit de l'aventure pour elle-même.
L'aventurier va jusqu'au bout de ses forces ; il est à ce point gagné par le goût du risque qu'il n'hésite pas à y
sacrifier sa vie, la mort étant aussi le signe manifeste de l'aventure.
Dans La Voie royale toujours, la mort de Perken
est la clef du roman : elle est l'aboutissement de l'aventure qui devient ainsi symbolique de la vie humaine, absurde,
soumise au hasard.
A un moindre degré, nos contemporains qui s'adonnent aux sports réputés dangereux connue le
rafting, le parapente ou l'escalade recherchent eux aussi la difficulté, l'aventure résidant dans la palpitation que l'on
éprouve à se trouver face à l'obstacle et à devoir le résoudre immédiatement.
Henri Michaux, dans Ecuador, raconte
sa descente du fleuve Napo en pirogue, alors même qu'il n'aurait jamais dû entreprendre une aventure aussi
périlleuse ; mais de la sorte, il donne tort aux médecins qui lui avaient promis la mort s'il s'y risquait.
L'aventurier est celui qui veut se confronter avec l'absolu de ses forces, jusqu'à sa mort et la recherche de
l'aventure est donc bien déterminée par le goût du risque.
Mais les aventuriers ne sont pas tous des casse-cou : il
faut aussi prendre en compte la dimension mythique et psychologique de l'aventure, la force de l'imaginaire.
***
Si le goût du risque semble inséparable de la recherche de l'aventure, une des raisons profondes de cette quête est
bien la force de l'imaginaire qui est comme une bouffée d'idéal dans un univers gouverné par le matérialisme.
Qu'il
s'agisse des aventuriers eux-mêmes ou des contrées qu'ils traversent, le rêve est au rendez-vous.
« Avant d'être un
paradis ou jardin des délices, écrit Claude Roy, un pays lointain, c'est d'abord ce qui nous est refusé, ce qui est hors
de portée de nos regards et de nos mains », ce qui appartient donc à l'imagination et au rêve.
Et nous avons de
fabu-leux modèles - fabuleux parce qu'ils nous viennent des fables - : Ulysse, Robinson Crusoé sont les familiers de
tous les amateurs d'aventures.
La force de l'imaginaire pousse certains à reprendre le chemin des chercheurs d'or en
Californie, où l'on peut, dans des relais-étapes, louer un tamis et partir plusieurs jours scruter les rivières pour en
rapporter quelque hypothétique pépite.
Ces chercheurs savent bien qu'ils ne s'enrichiront pas de la sorte, mais ils
revivent l'exaltation des premiers colons du Far West.
Nous éprouvons les mêmes frissons que les héros de la littérature ou du cinéma, nous partageons leurs souffrances,
nous triomphons avec eux.
Cette identification est d'autant plus efficace que leurs exploits ne seront jamais les
nôtres : nous devenons héros et demi-dieux grâce à eux.
Les moyens modernes mis en œuvre pour satisfaire notre
besoin d'aventure passent le plus souvent par les médias, mode de communication entre les hommes, comme les
épopées de l'Antiquité (L'Odyssée) et du Moyen Age (les romans des Chevaliers de la Table Ronde) le faisaient dans
leur temps.
Nous pouvons en prendre pour exemple la multiplication des revues exaltant tel ou tel type d'aventure
contenue dans la pratique d'un sport dangereux.
La parution toujours plus abondante de livres ou la sortie de films
d'aventures (comme Les Aventuriers de l'arche perdue, qui en est à son troisième épisode) permet de laisser libre.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- De l'astrologie, telle qu'elle est bâtie depuis des millénaires sur des connaissances dépassées, et largement, depuis quatre siècles, il ne reste rien... Et pourtant, des millions de gens continuent à y croire sans y croire, et à alimenter une industrie florissante... Le goût du merveilleux, l'inquiétude de la vie quotidienne et ses difficultés : certes, on comprend ! Mais il n'est pas possible de ne pas proclamer qu'il vaudrait mieux diffuser dans le public la compréhension des faits
- Coeur, chaumière et compte en banque, c'est ainsi que Jérôme Binde définit l'idéal secret des jeunes. Notre époque aurait-elle predu le goût de l'aventure ?
- L'auteur d'un ouvrage consacré au drame cite l'affirmation catégorique de Baudelaire : « Qui dit romantisme dit art moderne» et ajoute que «les termes dans lesquels [celui-ci] définit la modernité — intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini — rappellent les plus secrètes intentions du drame romantique». Dans quelle mesure l'ensemble de ces propos vous paraît-il refléter la brève aventure de cette dramaturgie nouvelle ?
- Le goût pour la littérature (1914 -1940)
- UNE MERVEILLEUSE AVENTURE - MICHELET, Jeanne d'Arc (Introduction)