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La personnalité et l'esthétique de Flaubert

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La Correspondance de Flaubert est du plus haut intérêt : elle nous révèle l'homme au naturel, fougueux, vibrant, mais délibérément attaché à une esthétique en opposition avec son tempérament. LE TEMPÉRAMENT ROMANTIQUE Flaubert, par le fond de sa nature, était romantique. Sa jeunesse, impétueuse et excessive, est un exemple typique de la maladie qui rongea toute une génération; il donne alors dans toutes les outrances à la mode : il a des rêves « superbes d'extravagance »; il cache sous son traversin un poignard dont il se sert pour écrire avec son sang des vers frénétiques; il affiche tantôt un cynisme à la Byron, tantôt un désenchantement à la René. Son romantisme ne se traduit d'ailleurs pas seulement par des attitudes : il embrasse avec enthousiasme l'idéal nouveau, s'enflamme pour Goethe et pour Hugo jusqu'au fanatisme. Comme les romantiques, il est doué d'une imagination ardente, curieux de sensations fortes, attiré par l'énorme et le surnaturel, ivre de couleurs et de vastes horizons. Comme les Jeunes-France, il est plein d'un dédain vengeur pour la société moderne, pour le bourgeois sans idéal et sans poésie, dont il sonde la bêtise avec une délectation infinie Son pessimisme, enfin, naît, comme celui des romantiques, du sentiment de la solitude morale et de l'amère conviction que la vie terrestre n'a ni sens ni but.

« La Correspondance de Flaubert est du plus haut intérêt : elle nous révèle l'homme au naturel, fougueux, vibrant, mais délibérément attaché à une esthétique en opposition avec son tempérament. LE TEMPÉRAMENT ROMANTIQUE Flaubert, par le fond de sa nature, était romantique.

Sa jeunesse, impétueuse et excessive, est un exemple typique de la maladie qui rongea toute une génération; il donne alors dans toutes les outrances à la mode : il a des rêves « superbes d'extravagance »; il cache sous son traversin un poignard dont il se sert pour écrire avec son sang des vers frénétiques; il affiche tantôt un cynisme à la Byron, tantôt un désenchantement à la René.

Son romantisme ne se traduit d'ailleurs pas seulement par des attitudes : il embrasse avec enthousiasme l'idéal nouveau, s'enflamme pour Goethe et pour Hugo jusqu'au fanatisme.

Comme les romantiques, il est doué d'une imagination ardente, curieux de sensations fortes, attiré par l'énorme et le surnaturel, ivre de couleurs et de vastes horizons.

Comme les JeunesFrance, il est plein d'un dédain vengeur pour la société moderne, pour le bourgeois sans idéal et sans poésie, dont il sonde la bêtise avec une délectation infinie Son pessimisme, enfin, naît, comme celui des romantiques, du sentiment de la solitude morale et de l'amère conviction que la vie terrestre n'a ni sens ni but. LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE Mais Flaubert, fortement imprégné de culture positiviste, s'est bientôt moqué de sa foi romantique.

Il lit les idéologues, étudie la physiologie, l'anatomie et la pathologie; il acquiert ainsi un « coup d'oeil médical de la vie » et, par un effort de volonté à peu près unique dans l'histoire des lettres, il s'astreint à discipliner la fougue de son tempérament. Dans ce dessein, il fixe et applique les grandes lignes d'une esthétique rigoureuse.

Le romancier doit, selon lui, s'inspirer des principes et de la méthode des sciences biologiques.

Il convient d'abord de réunir sur le sujet choisi une documentation aussi complète que possible : ainsi Flaubert, avant d'écrire Salammbô, « prend une indigestion de vieux bouquins »; il dépouille une foule de brochures politiques en vue de L'Éducation sentimentale; il parcourt plus dei 50o volumes, lorsqu'il prépare Bouvard et Pécuchet.

La documentation peut d'ailleurs porter sur un point particulier : Flaubert étudie dans des ouvrages de physiologie les désordres causés par la famine avant de rédiger l'épisode du défilé de la Hache dans Salammbô; il consulte un avoué lorsqu'il veut évoquer les embarras financiers de Jacques Arnoux.

Le romancier doit ensuite dégager les faits particuliers de leurs « contingences éphémères », afin d'atteindre le permanent et l'universel : Emma Bovary représente toute une catégorie d'âmes féminines Enfin le romancier ne doit pas chercher à donner le dernier mot sur chaque chose : qu'il imite encore sur ce point les biologistes et les naturalistes, qui se contentent d'observer sans jamais « conclure ». LE DOGME DE L'IMPERSONNALITÉ « Le grand art est scientifique et impersonnel », écrit Flaubert.

De même que les sciences naturelles ne nous révèlent rien sur le naturaliste, de même un roman ne doit rien révéler au lecteur sur la vie intime du romancier. Flaubert a insisté sur cette condition fondamentale de toute oeuvre romanesque : « Tu prendras en pitié l'usage de se chanter soi-même.

Cela réussit une fois dans un cri; mais quelque lyrisme qu'ait Byron, par exemple, comme Shakespeare l'écrase à côté, avec son impersonnalité surhumaine! Est-ce qu'on sait seulement s'il est triste ou gai ? L'artiste doit s'arranger de façon à faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu.

» Pour atteindre à ce but, il faut,.

« par un effort d'esprit, se transporter dans les personnages et non pas les attirer à soi ». L'objectivité n'exclut d'ailleurs nullement l'utilisation d'éléments personnels.

Flaubert construit souvent ses personnages à l'aide de souvenirs empruntés à son entourage ou à sa propre vie : Mme Arnoux ressemble à Mme Schlésinger et Frédéric Moreau à l'écrivain lui-même; Emma Bovary, romanesque, éprise d'horizons nouveaux, est encore l'image d'un certain Flaubert; « Madame Bovary, c'est moi », déclara-t-il.

L'objectivité n'exclut pas davantage l'émotion : « Il faut, » écrit Flaubert, « que la réalité extérieure entre en nous à nous en faire crier, pour la bien reproduire ».

Mais si le grand artiste palpite du sentiment qui anime ses personnages, il doit néanmoins demeurer toujours maître de lui. LE CULTE DE LA BEAUTÉ FORMELLE La forme de l'oeuvre d'art doit être soumise à des contraintes aussi rigoureuses que le fond.

Les premières oeuvres de Flaubert et l'ensemble de sa Correspondance révèlent ce que son style, lâché en liberté, pouvait contenir de verve drue et d'émotion chaleureuse.

Mais, en bon ouvrier de la forme, il a maîtrisé son instinct et imposé à son « art d'écrire » un grand nombre de règles minutieuses et tyranniques : ainsi, il traçait d'abord une ébauche de chacune de ses phrases et de chacun de ses paragraphes, juxtaposant parfois une dizaine de rédactions successives; il confrontait ensuite ces rédactions, élaguait, resserrait et clarifiait.

Enfin, il faisait subir à ses phrases l'épreuve du « gueuloir.

» « Il prenait sa feuille de papier, raconte Maupassant, l'élevait à la hauteur des regards, et, s'appuyant sur un coude, déclamait d'une voix mordante et haute.

Il écoutait le rythme de sa prose, s'arrêtait pour saisir une sonorité fuyante, combinait les tons, éloignait les assonances, disposait les virgules avec conscience, comme les haltes d'un long chemin.

» Flaubert réalisait cette « mise en style » au prix d'efforts prodigieux et parfois d'une véritable torture.

Le culte de la beauté formelle a été le martyre, mais aussi l'essentielle raison de vivre de cet incroyant assoiffé d'absolu : « J'aime mon travail d'un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre.

». »

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