La comtesse de Ségur
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La comtesse de Ségur
La comtesse de Ségur pourrait être une héroïne de roman.
L'art d'être grand-mère, elle l'a élevé jusqu'à un genre
littéraire qui garde sa fraîcheur et son succès comme au premier jour.
Cette grand-mère modèle a été appelée le
"Balzac de la jeunesse".
Elle a commencé à écrire, pour ses petits-enfants, à l'âge de cinquante-huit ans.
La littérature enfantine était alors
(1857) d'une platitude extrême.
Que l'on juge sur titres : Ernestine ou les charmes de la vertu, Hubert ou les suites
funestes de la paresse et de l'indocilité.
La comtesse de Ségur disait qu'elle parlait "enfant comme on parle français".
Elle a écrit avec joie, facilité,
abondance (vingt volumes en douze années).
Elle n'avait pas l'impression de faire oeuvre de femme de lettres.
Ses
heures de travail, elle se sentait coupable "de les dérober au monde et à la religion".
Pendant qu'elle écrivait les Nouveaux Contes, les Petites Filles modèles, les Malheurs de Sophie, les Mémoires d'un
âne, le Général Dourakine, etc.
elle s'efforçait sur le chemin de la sainteté et elle était reçue le 15 août 1866 dans le
Tiers Ordre de Saint-François par son fils, évêque.
On a discuté la morale de ses livres.
Ils dénoncent vigoureusement l'hypocrisie et la méchanceté.
Les méchants y
sont punis, les bons récompensés.
Les enfants de toutes les générations se plaisent aux extrêmes, ils ont un sens
très vif de la justice, ils ne détestent pas l'ardeur dans le châtiment des mauvais.
Or, dans les romans de la
comtesse de Ségur, les règlements de comptes sont si durs que certains s'en sont émus et ont flairé le sadisme
dans l'oeuvre dont se réjouissent les enfants.
Les fouettées pédagogiques laissent les corps endoloris.
M.
de Réan,
père de Sophie, voit le corps de sa petite fille tout rouge.
Il jette sa méchante épouse à terre et lui donne "tant de
coups qu'elle hurlait plus qu'elle ne criait..."
La bonne grand-mère de Ségur semble ressentir quelque involontaire prédilection pour le spectacle de la violence.
Et
des critiques ont été chercher le goût du knout dans les ascendances russes de la comtesse née Rostopchine.
Elle est née à Pétersbourg, l'été 1799, d'un grand seigneur russe, farouche patriote et fin lettré.
Elle a grandi au
domaine de Woronowo, près de Moscou, somptueuse résidence.
Sophie Rostopchine avait treize ans lorsque
Napoléon était aux portes de Moscou.
Son père, qui en était alors le gouverneur, en décida l'incendie.
Il brûla aussi
Woronowo et ses trésors.
A côté de l'empereur qui regardait brûler Moscou, se tenait son aide de camp, le général
comte de Ségur, l'oncle de cet Eugène que Sophie épousera à Paris seulement cinq ans plus tard, lorsque les
Rostopchine vinrent s'installer en France.
Encore jeune, la comtesse Rostopchine sa mère retira son coeur du monde.
Elle se convertit secrètement au
catholicisme.
On raconte qu'elle se confessait au curé de Moscou pendant les soirées mondaines, et sans cesser de
sourire.
Le prêtre lui remettait une custode d'or contenant sept hosties, elle lui remettait une custode vide et se
donnait ainsi la communion ellemême, tous les jours de la semaine.
Son mari n'apprit pas sans âpre chagrin cette
conversion qui entraîna celle de Sophie.
Sophie héritait de ces deux âmes fières et du sang de Gengis Khan dont descendaient les Rostopchine.
C'est un
regard qu'elle qualifiait elle-même de "Tartare-Mandchou" qu'elle a promené sur la société qui était devenue la
sienne par son mariage, cette société du second Empire, trop jolie, trop polie, trop idéalement paternaliste.
Malade, la comtesse de Ségur s'arrêta d'écrire à l'âge de soixante-dix ans et mourut à soixante-quinze.
Son coeur
est à Paris, au couvent de la Visitation, ainsi que celui de son fils, Mgr de Ségur.
Elle laisse derrière elle une oeuvre
qui demeure vivante malgré les crinolines, les châteaux, et les tournures désuètes du langage.
Louis Veuillot disait
des livres de la comtesse de Ségur : "Ils vivront, par la grande qualité, celle qui fait vivre : le naturel.".
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