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Jean-Paul Sartre, Huis clos, scène 3

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Jean-Paul Sartre, Huis clos, scène 3 LE GARÇON, à Garcin. Vous m'avez appelé ? Garcin va pour répondre, mais il jette un coup d'oeil à Inès. GARCIN Non. LE GARÇON, se tournant vers Inès. Vous êtes chez vous, madame. (Silence d'Inès.) Si vous avez des questions à me poser... (Inès se tait.) LE GARÇON, déçu. D'ordinaire les clients aiment à se renseigner... Je n'insiste pas. D'ailleurs, pour la brosse à dents, la sonnette et le bronze de Barbedienne, monsieur est au courant et il vous répondra aussi bien que moi. II sort. Un silence. Garcin ne regarde pas Inès. Inès regarde autour d'elle, puis elle se dirige brusquement vers Garcin. INÈS Où est Florence ? (Silence de Garcin.) Je vous demande où est Florence ? GARCIN Je n'en sais rien. INÈS C'est tout ce que vous avez trouvé ? La torture par l'absence ? Eh bien, c'est manqué. Florence était une petite sotte et je ne la regrette pas. GARCIN Je vous demande pardon : pour qui me prenez-vous ? INÈS Vous ? Vous êtes le bourreau. GARCIN, sursaute et puis se met à rire. C'est une méprise tout à fait amusante. Le bourreau, vraiment ? Vous êtes entrée, vous m'avez regardé et vous avez pensé : c'est le bourreau. Quelle extravagance ! Le garçon est ridicule, il aurait dû nous présenter l'un à l'autre. Le bourreau ! Je suis Joseph Garcin, publiciste et homme de lettres. La vérité, c'est que nous sommes logés à la même enseigne. Madame... INÈS, sèchement. Inès Serrano. Mademoiselle. GARCIN Très bien. Parfait. Eh bien, la glace est rompue. Ainsi vous me trouvez la mine d'un bourreau ? Et à quoi les reconnaît-on les bourreaux, s'il vous plaît ? INÈS Ils ont l'air d'avoir peur. GARCIN Peur? C'est trop drôle. Et de qui ? De leurs victimes ? INÈS Allez ! Je sais ce que je dis. Je me suis regardée dans la glace. GARCIN Dans la glace ? (Il regarde autour de lui.) C'est assommant : ils ont ôté tout ce qui pouvait ressembler à une glace. (Un temps.) En tout cas, je puis vous affirmer que je n'ai pas peur. Je ne prends pas la situation à la légère et je suis très conscient de sa gravité. Mais je n'ai pas peur. INÈS, haussant les épaules. Ça vous regarde. (Un temps.) Est-ce qu'il vous arrive de temps en temps d'aller faire un tour dehors ? GARCIN La porte est verrouillée. INÈS Tant pis. GARCIN Je comprends très bien que ma présence vous importune. Et personnellement, je préférerais rester seul : il faut que je mette ma vie en ordre et j'ai besoin de me recueillir. Mais je suis sûr que nous pourrons nous accommoder l'un de l'autre : je ne parle pas, je ne remue guère et je fais peu de bruit. Seulement, si je peux me permettre un conseil, il faudra conserver entre nous une extrême politesse. Ce sera notre meilleure défense. INÈS Je ne suis pas polie. GARCIN Je le serai donc pour deux. Un silence. Garcin est assis sur le canapé. Inès se promène de long en large. INÈS, le regardant. Votre bouche. GARCIN, tiré de son rêve. Plaît-il ? INÈS Vous ne pourriez pas arrêter votre bouche ? Elle tourne comme une toupie sous votre nez. GARCIN Je vous demande pardon : je ne m'en rendais pas compte. INÈS C'est ce que je vous reproche. (Tic de Garcin.), Encore ! Vous prétendez être poli ét vous laissez votre visage à l'abandon. Vous n'êtes pas seul et vous n'avez pas le droit de m'infliger le spectacle de votre peur. Garcin se lève et va vers elle. GARCIN Vous n'avez pas peur, vous ? INÈS Pour quoi faire ? La peur, c'était bon avant, quand nous gardions de l'espoir. GARCIN, doucement. Il n'y a plus d'espoir, mais nous sommes toujours avant. Nous n'avons pas commencé de souffrir, mademoiselle. INÈS Je sais. (Un temps.) Alors ? Qu'est-ce qui va venir ? GARCIN Je ne sais pas. J'attends. Un silence. Garcin va se rasseoir. Inès reprend sa marche. Garcin a un tic de la bouche, puis, après un regard à Inès, il enfouit son visage dans ses mains. Entrent Estelle et le garçon.

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