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« Je hais les livres; ils n'apprennent qu'à parler de ce qu'on ne sait pas ». Jean Jacques Rousseau, L'Emile.

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Et, surtout, ne méconnaît-elle pas la rapport complexe que les livres, quelle que soit leur nature, entretiennent avec la réalité, rapport fait à la fois d'imitation, de mise à distance et de création ? La valeur formatrice des livres n'est-elle pas dans le recul que ceux-ci peuvent permettre d'avoir par rapport au réel ?   Eléments pour le développement   I. Le point de vue de Rousseau  La première partie devra donner des arguments en faveur de la déclaration de Rousseau. On peut d'abord avancer l'idée que seule le contact brut avec la réalité serait formateur, et que les livres, loin de favoriser ce contact, donnent l'impression illusoire d'avoir eu l'expérience de ce dont ils parlent. Dans Madame Bovary, ainsi, le personnage d'Emma manque sa vie parce qu'elle a lu trop de livres en les prenant pour la réalité : s'attendant à un réel aussi riche, brillant et tumultueux que celui qu'elle a vu dans les romans de chevalerie, elle est déçue par sa vie réelle et est conduite au suicide. Cette déception est aussi présente dans ces vers de Pétrus Borel, dans son poème Sur l'Amour : « ... et ne sais rien de plus/Qu'avant d'avoir veillé sur ces bouquins feuillus ». Pétrus Borel, dans son poème Sur l'Amour. Les livres seraient la cause d'un rapport faussé au monde ; il faudrait leur préférer la confrontation directe au monde, seul moyen de parler pertinemment de ce que l'on sait.   II.

« Définition des termes du sujet Il s'agit ici d'expliquer et critiquer le point d e vue d e Rousseau selon lequel les livres seraient haïssables, en interrogeant la raison pour laquelle il déclare cela : « ils n'apprennent qu'à parler de ce qu'on ne sait pas ».

Il faut d'abord s'interroger sur le contexte de cette déclaration : celle-ci prend en effet place dans un traité sur l'éducation, et c'est donc en particulier la valeur pédagogique et formatrice des livres qui est en jeu (et notamment dans le contexte de l'éducation des enfants), ce qui constitue un angle d'attaque très étroit pour déterminer ce qu'est un livre et à quoi il sert.

On remarque en outre que Rousseau pose ce problème d'une manière très vague, parlant des « livres » en général sans préciser s'il entend par là les romans, les recueils d e poèmes, ou même, pourquoi pas, les livres d'école.

Autrement dit, c'est le support « livre » qui est lui-même visé, ainsi que l'activité de lecture qu'il induit et qui suppose, en un sens, de se couper du monde pendant le temps où on la pratique. Le reproche adressé par Rousseau aux livres est, en revanche, très précis.

L'expression « ne…que » est restrictive : il ne semble donc pas qu'il faille attribuer d'autres caractères aux livres que celui qui lui est reproché.

La définition donnée par Rousseau se pose comme complète et suffisante – il n'envisage pas d'autre attribut des livres (transmission de connaissances, création esthétique, etc.), ou en tout cas refuse de donner de la valeur à tout autre attribut possible.

Cette définition porte sur la conséquence de la lecture des livres, cette conséquence étant une attitude présomptueuse consistant à faire valoir un savoir acquis dans les livres, alors même que selon Rousseau ce savoir est un faux savoir : on pourra opposer au savoir acquis dans les livres un savoir tiré de l'expérience, ce savoir tiré d e l'expérience étant d'ailleurs un des fils directeurs majeurs de l' Emile.

Le livre donnerait donc une illusion de savoir et un droit illusoire de parler de ce que l'on a tiré d e ce savoir illusoire, il entraînerait chez le lecteur une attitude présomptueuse et un mauvais rapport au monde.

Cela rejoint des reproches encore courants adressés au savoir « livresque ».

L'expression « parler de » est ici péjorative : il s'agit d'une parole sans consistance, d'un verbiage vain qui se donne l'apparence d'un savoir. Il faudra tenter de définir ce qui peut justifier une pareille prise de position contre les livres, avant de la critiquer en examinant les autres qualités que l'on peut attribuer aux livres : la position de Rousseau n'est-elle pas en effet très réductrice ? Et, surtout, ne méconnaît-elle pas la rapport complexe que les livres, quelle que soit leur nature, entretiennent avec la réalité, rapport fait à la fois d'imitation, de mise à distance et de création ? La valeur formatrice des livres n'est-elle pas dans le recul que ceux-ci peuvent permettre d'avoir par rapport au réel ? Eléments pour le développement I.

Le point de vue de Rousseau La première partie devra donner des arguments en faveur de la déclaration de Rousseau.

On peut d'abord avancer l'idée que seule le contact brut avec la réalité serait formateur, et que les livres, loin de favoriser ce contact, donnent l'impression illusoire d'avoir eu l'expérience de ce dont ils parlent.

Dans Madame Bovary, ainsi, le personnage d'Emma manque sa vie parce qu'elle a lu trop de livres en les prenant pour la réalité : s'attendant à un réel aussi riche, brillant et tumultueux que celui qu'elle a vu dans les romans de chevalerie, elle est déçue par sa vie réelle et est conduite au suicide.

Cette déception est aussi présente dans ces vers de Pétrus Borel, dans son p o è m e Sur l'Amour : « … et ne sais rien de plus/Qu'avant d'avoir veillé sur ces bouquins feuillus ».

Pétrus Borel, dans son p o è m e Sur l'Amour.

Les livres seraient la cause d'un rapport faussé au monde ; il faudrait leur préférer la confrontation directe au monde, seul moyen de parler pertinemment de ce que l'on sait. II.

Les livres et le savoir Pourtant, l'une des vocations majeures des livres est de conserver et transmettre un savoir ; Montaigne, par exemple, soutient dans ses Essais qu'il faut fréquenter les grands auteurs pour nous imprégner de leur expérience de la vie, ce qui permet de dépasser notre point de vue individuel et d'avoir des connaissances plus larges que celles que nous permet simplement notre expérience personnelle.

Les livres sont le lieu de l'accumulation de la pensée universelle, et donc du progrès : ils permettent de consigner le savoir et de l'augmenter, de ne pas recommencer à zéro toute réflexion.

Le philosophe du Moyen-Âge Bernard de Chartres exprimait cela ainsi : « Nous sommes des nains perchés sur les épaules de géants ».

Loin de nous faire parler de ce que nous ne savons pas, les livres nous permettent alors de nous constituer un savoir et de faire progresser la pensée en ne nous en tenant pas uniquement à notre expérience individuelle, nécessairement limitée. III.

La conciliation possible de l'expérience de la vie et du savoir livresque Il importe finalement de définir ce que serait un juste rapport aux livres – et notamment aux livres de fiction – qui nous permettrait de parler de ce que l'on sait tout en nous permettant d'enrichir notre expérience individuelle, seule formation valable selon Rousseau, de l'expérience commune.

Il faudrait concilier l'expérience des livres avec l'expérience de la vie, sans quoi l'on tomberait dans le bovarysme, éclairer l'une grâce à l'autre.

Cela est vrai notamment, et là encore l'exemple d'Emma Bovary est pertinent, des œuvres de fiction- et notamment des romans, auxquels on a traditionnellement reproché de fausser la perception du monde et d'être néfastes à leurs lecteurs – mais aussi des œuvres savantes : par là le reproche de Rousseau se trouve invalidé, parce qu'il témoigne d'une vision beaucoup trop unilatérale des livres et met excessivement en avant l'expérience individuelle, très limitée. Conclusion La position de Rousseau, si elle est défendable, apparaît comme extrême, puisqu'elle disqualifie sans appel les livres sans envisager les bénéfices que le lecteur peut en tirer pour son expérience et sa formation individuelles à la condition qu'il ne remplace pas son expérience personnelle du monde réel par la lecture des livres.

Il faut lui préférer une position plus nuancée qui attribue à l'expérience et à la lecture des livres la place qui leur revient sans exclure l'une au profit de l'autre.. »

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