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Jacques Brel, J'aimais

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J'aimais les fées et les princesses Qu'on me disait n'exister pas J'aimais le feu et la tendresse Tu vois je vous rêvais déjà J'aimais les tours hautes et larges Pour voir au large venir l'amour J'aimais les tours de cœur de garde Tu vois je vous guettais déjà J'aimais le col ondoyant des vagues Les saules nobles languissant vers moi J'aimais la ligne tournante des algues Tu vois je vous savais déjà J'aimais courir jusqu'à tomber J'aimais la nuit jusqu'au matin Je n'aimais rien non j'ai adoré Tu vois je vous aimais déjà J'aimais l'été pour ses orages Et pour la foudre sur le toit J'aimais l'éclair sur ton visage Tu vois je vous brûlais déjà J'aimais la pluie noyant l'espace Au long des brumes du pays plat J'aimais la brume que le vent chasse Tu vois je vous pleurais déjà J'aimais la vigne et le houblon Les villes du Nord les laides de nuit Les fleuves profonds m'appelant au lit Tu vois je vous oubliais déjà. Jacques Brel, J'aimais

« Première partie 1.

Le verbe j'aimais Dans le titre et dans la strophe centrale avec ses quatre occurrences, j'aimais signifie «j'étais amoureux de ».

Ce sens est renforcé par la proximité de j'ai adoré (v.

15) et de je vous brûlais (v.

20), qui connotent tous deux l'intensité de la passion amoureuse.

Mais le verbe prend également le sens atténué de «j'avais du goût pour», aussi bien au vers 1 (J'aimais les fées...) qu'au vers 5 (J'aimais les tours hautes et larges) ou 13 et 14 (J'aimais courir...

J'aimais la nuit...).

Enfin l'amour du poète pour sa région peut se lire dans J'aimais la pluie (v.

21), J'aimais la brume (v.

23), ou J'aimais la vigne et le houblon (v.

25).

Cet attachement paraît bien plus fort que dans la rêverie sentimentale des premiers vers. 2.

La structure de la chanson Les sept strophes de « J'aimais » retracent les trois phases d'une brève passion.

Jacques Brel évoque d'abord un rêve d'amour : dans les trois premières strophes, l'imagination du poète exaltée par des souvenirs de lectures, pare la femme de la beauté idéale des fées et des princesses qui attendent le prince charmant, peut-être aussi des ondines comme le suggèrent les connotations aquatiques des vers 9 à 11. Dans les trois suivantes, la passion vient combler cette longue attente de l'amour : sa puissance et ses excès sont traduits par les images du feu et de l'orage.

Mais le désamour ne tarde pas à succéder à la passion : le temps des larmes et de la séparation est venu.

L'image de la femme aimée s'estompe rapidement dans les deux dernières strophes pour se noyer dans les brumes du pays plat et le poète reste seul. 3.

Le quatrième vers Tout au long des sept strophes du poème, le quatrième vers sert de fil directeur, car son verbe marque chaque fois une nouvelle étape de l'évolution des sentiments : l'attente confuse d'un amour sans objet précis (je vous rêvais, v.

4), l'impatience d'aimer (je vous guettais, v. 8), puis l'intuition amoureuse (je vous savais, v.

12).

Dans la phase plus brève de la passion, je vous aimais (v.

16) ne tarde pas à être remplacé par un verbe plus fort, je vous brûlais (v.

20).

Mais bientôt les larmes (je vous pleurais, v.

24) succèdent aux feux de l'amour, qui s'éteignent dans le dernier vers (je vous oubliais). Deuxième partie 4.

Le poète associe le rêve et la réalité dans les trois phases successives de cette histoire d'amour. Durant l'attente de l'amour le poète souhaite que le rêve devienne réalité.

Deux sources différentes alimentent l'imagination de l'enfant et de l'adolescent, la rêverie suscitée par la lecture d'une part, la nature bien réelle de l'autre.

Les contes fournissent des figures féminines d'une beauté enchanteresse, fées et princesses, ainsi qu'un décor de châteaux avec leurs tours hautes et larges.

Dans ce théâtre l'aventure et la guerre peuvent se mêler à l'amour, mais les tours de cœur de garde sont peut-être aussi un souvenir des beffrois des Flandres.

La nature, féminisée comme le suggèrent col et surtout l'emploi inattendu de la préposition vers après le verbe de sentiment languissant, est animée de mouvement (ondoyant, tournante) ; les lignes courbes y prédominent et l'eau y est omniprésente.

Mais tandis que vagues et algues appartiennent à un paysage marin, les saules évoquent un lac ou une rivière.

De même, la mort de l'amour est traduite par des images de pluie et de brume familières aux habitants du « plat pays ».

Depuis le romantisme les poètes se plaisent à établir une correspondance entre un paysage et leur état d'âme et les symbolistes multiplient le procédé.

C'est ainsi que Verlaine écrivait dans Ariettes oubliées : Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville Mais si la brume et la pluie représentent la tristesse et si noyant évoque de longs chagrins, l'eau courante, en revanche, sert à figurer l'oubli. Toute l'ambiguïté du vers 27 : Les fleuves profonds m'appelant au lit vient de là.

Il peut signifier le désir d'oublier, par allusion au Léthé, le fleuve des Enfers, où, d'après la mythologie grecque, les âmes des morts allaient boire l'oubli des choses terrestres.

Mais il peut aussi se charger de connotations plus charnelles et évoquer de nouvelles aventures amoureuses. Cependant, c'est sans doute dans sa partie centrale que le poème mêle le plus étroitement la réalité avec le rêve.

D'abord, la puissance de l'amour s'y déploie dans les images conventionnelles du feu, mais que Jacques Brel réussit à renouveler, par exemple dans la métaphore filée : foudre et éclair prolongent orages tout en évoquant le classique coup de foudre qui marque le début d'une relation amoureuse, tandis que les orages annoncent une tourmente à laquelle la passion ne résistera pas.

Plus original est le parallèle entre les vers 13 et 14, construits selon le même schéma syntaxique pour souligner les excès de la passion : si la mention de la nuit blanche est banale, le vers 13, en revanche, fait sentir par l'image d'une course épuisante que la passion peut nous conduire jusqu'à la limite de nos possibilités.

Ces emprunts à la réalité quotidienne se retrouvent dans la dernière strophe avec les produits de la terre, la vigne et le houblon symbolisant le vin et la bière, ou bien avec le terroir du poète, représenté par les villes du Nord. 5.

La tonalité de la chanson Dans cette chanson triste qui s'apparente à l'élégie, la plainte amoureuse se reconnaît essentiellement à trois indices : le thème, la structure et le rythme. Le poète ne chante pas ici le bonheur d'aimer ou l'amour triomphant, niais le désamour : l'amour ne dure pas, les flammes de la passion s'éteignent bien vite dans les larmes et l'oubli.

Cette vision pessimiste de l'amour est à rapprocher, entre autres, du célèbre poème d'Aragon : « Il n'y a pas d'amour heureux » (La Diane française).

I .a tristesse du thème est mise en évidence par la structure du poème.

Après une phase d'attente (v.

1 à 12), l'amour surgit et flamboie dans (M deux strophes centrales, ponctuées par deux verbes clés, je vous tintais et je vous brûlais.

Puis le poète passe, sans la moindre transition, du feu aux larmes : la quatrième strophe s'ouvre sur l'image symbolique de la pluie, prolongée par celle de la brume et renforcée par la répétition et le pluriel, les brumes, et elle se clôt sur l'expression du chagrin (je vous pleurais, v.

24).

La dernière strophe ne laisse aucun espoir de voir renaître cet amour, car la femme aimée semble devoir être rapidement remplacée par les laides d e nuit, allusion à l'amour vénal comme succédané de la passion amoureuse : la déception sentimentale sert d'alibi à d e brèves aventures.

Le rythme contribue à donner l'impression que ces métamorphoses de l'amour sont irréversibles.

La structure linéaire du texte est en effet renforcée par le choix d'un mètre court, l'octosyllabe, et de nombreuses répétitions. Le vers de huit syllabes, contrairement à l'alexandrin, beaucoup plus ample, ne saurait suggérer l'assouvissement de la passion, encore moins sa plénitude.

Le rythme imprimé au p o è m e par l'octosyllabe traduit d'abord les promesses d e l'amour, puis l'insatisfaction, l'inachèvement : il convient donc parfaitement à l'expression d'un amour malheureux qui s e dissout dans les larmes.

En outre, les répétitions, aux vers 1 et 3 de la plupart des strophes, du verbe j'aimais et surtout les variantes successives du quatrième vers de chaque strophe semblent faire porter au poète toute la responsabilité du drame qui s'est joué.

Il a réalisé son rêve d'amour (je vous rêvais déjà, v. 4), mais a-t-il vraiment su aimer, c'est-à-dire donner, mourir à soi pour renaître en la femme aimée ? Enfin la répétition de déjà à la fin de chaque strophe fait planer dès le début la menace de la fatalité sur la passion qui peut unir un homme et une femme car, en faisant entrevoir l'événement comme révolu au moment précis où il s e déclenche, cet adverbe exprime le caractère inéluctable de tout enchaînement de circonstances.

Il donne au dernier vers un sens particulièrement poignant en suggérant que les germes de la séparation et de l'oubli sont inscrits dans les prémisses mêmes de l'amour.

Dans J'aimais, comme dans la plupart de ses chansons, le poète constate avec amertume que, même quand les rêves d'amour se réalisent, ils se dissipent rapidement : l'amour est éphémère, le couple se dissout et cet échec semble fatal.. »

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