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Isaac Babel

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Isaac Babel 1894-1941 De taille moyenne, trapu, presque sans cou, le front ridé, le nez en bec de canard, les yeux petits, les lunettes épaisses, Isaac Babel aurait pu être, comme son grand-père, un rabbin privé de l'exercice de son ministère pour cause de blasphème, vendre du poisson au marché, comme son grand-oncle, ou devenir, comme son père, petit commerçant. À 15 ans, il écrivait déjà, et la littérature devait être son métier, sa maladie, son ravissement. Il était à peine majeur — en 1915—lorsqu'il arriva à Pétrograd, cette belle capitale qui ne portait plus le nom de Petersbourg ni encore celui de Léningrad. Il y rencontra un homme qui, de tous ses confrères, savait porter le jugement le plus précis sur les écrivains, même les plus jeunes, les plus inexpérimentés. C'était Maxime Gorki, qui publia aussitôt dans "Les Annales", revue qu'il dirigeait, des contes de Babel. Celui-ci, plus strict sans doute et plus exigeant, n'aimait pas ce qu'il écrivait. Il continua à travailler mais ne fit plus rien paraître, n'eut même pas l'idée de fréquenter les rédactions ou de chercher un éditeur. Les événements lui étaient propices. Il avait atteint l'âge de faire la guerre ; quant à la révolution, elle se fait à tout âge. Son métier, Babel allait l'apprendre à travers la fin de la Première Guerre mondiale et la Révolution d'Octobre.

« Isaac Babel 1894-1941 De taille moyenne, trapu, presque sans cou, le front ridé, le nez en bec de canard, les yeux petits, les lunettes épaisses, Isaac Babel aurait pu être, comme son grand-père, un rabbin privé de l'exercice de son ministère pour cause de blasphème, vendre du poisson au marché, comme son grand-oncle, ou devenir, comme son père, petit commerçant.

À 15 ans, il écrivait déjà, et la littérature devait être son métier, sa maladie, son ravissement. Il était à peine majeur — en 1915—lorsqu'il arriva à Pétrograd, cette belle capitale qui ne portait plus le nom de Petersbourg ni encore celui de Léningrad.

Il y rencontra un homme qui, de tous ses confrères, savait porter le jugement le plus précis sur les écrivains, même les plus jeunes, les plus inexpérimentés.

C'était Maxime Gorki, qui publia aussitôt dans "Les Annales", revue qu'il dirigeait, des contes de Babel.

Celui-ci, plus strict sans doute et plus exigeant, n'aimait pas ce qu'il écrivait.

Il continua à travailler mais ne fit plus rien paraître, n'eut même pas l'idée de fréquenter les rédactions ou de chercher un éditeur.

Les événements lui étaient propices.

Il avait atteint l'âge de faire la guerre ; quant à la révolution, elle se fait à tout âge.

Son métier, Babel allait l'apprendre à travers la fin de la Première Guerre mondiale et la Révolution d'Octobre. À partir de 1917, il fut à tour de rôle soldat sur le front roumain, employé de la Commission Spéciale chargée de combattre les contrerévolutionnaires et les actes de sabotage, employé du Commissariat de l'instruction publique, combattant de l'armée du Nord qui repoussa les troupes blanches de Youdénitch, combattant de la Ire Armée de Cavalerie, celle que commandait Boudienny, journaliste à Pétrograd, journaliste à Tbilissi.

Je crois que j'en passe et je suis persuadé que chacune de ses occupations était absorbante, complexe, grave et souvent mortellement dangereuse ; il n'empêche que, pendant toutes ces années, Babel se consacrait à l'apprentissage de son métier d'écrivain.

Cinq ans plus tard, lorsque certains de ses récits parurent dans la revue que publiaient Maïakovsky et ses amis, on put se convaincre qu'il l'avait appris et que Gorki avait eu raison. Les événements que Babel avait à décrire — lui et tous ses contemporains — étaient tellement nouveaux, inattendus, particuliers, qu'il semblait à peu près impossible d'en parler platement : un écrivain n'avait qu'à reproduire ce qu'il voyait, ce qu'il vivait.

La plupart des livres consacrés à cette époque sont devenus illisibles, d'autres ont survécu, médiocres, quelques-uns seulement ont gardé force et fidélité.

De tous leurs auteurs, lequel vaut Babel ? Et pourtant il n'a pas laissé un seul roman, une seule nouvelle ; ses contes et récits les plus longs dépassent rarement une dizaine de pages, la plupart, et parmi les meilleurs, en ont à peine deux ou trois. Les écrivains russes les plus grands, à l'exception de Pouchkine, avaient rarement prêté attention au style et à la brièveté.

C'est la littérature française que Babel aimait et respectait, lui qui parlait et écrivait librement le français et apprenait son métier en traduisant attentivement en russe du Flaubert et du Maupassant.

Il y avait en lui un mélange de modestie et de passion, d'obstination et d'inflexibilité dont se souviennent tous ceux qui l'ont connu.

Il disait à un de ses amis et confrères, Paoustovski : "Je n'ai pas d'imagination.

Je le dis avec le plus grand sérieux.

Je ne sais pas inventer.

Je dois tout savoir, jusqu'au plus petit détail, sinon je ne peux rien écrire.

Mon bouclier porte la devise : "Authenticité." C'est pour cela que j'écris si lentement et si peu.

Cela m'est très pénible… Lorsque j'écris le plus petit conte, je travaille comme un terrassier qui doit à lui seul niveler le mont Everest… Il m'arrive même de pleurer de fatigue.

J'ai mal à toutes les veines.

Quand je n'arrive pas à réussir une phrase, j'ai le coeur pris de spasmes…" Il enviait les écrivains faciles, ceux qui flottent au gré de l'inspiration, les Scribes des Muses.

Lui, était un artisan.

"C'est le style qui nous sort d'affaire, disait-il, le style ! Je suis prêt à raconter l'histoire d'une lessive, et cela va peut-être rendre le même son que la prose de Jules César.

Tout se réduit à la langue et au style.

Et cela, on dirait que je sais y faire.

Mais vous comprenez bien que ce n'est pas l'essence de l'art, seulement un de ses matériaux de construction, un matériau de bonne qualité, peut-être même plus précieux…" Ainsi Babel se croyait esclave de son métier, homme dénué d'imagination, donc obligé d'observer dans le moindre détail et avec une absolue précision tout ce qu'il voulait décrire avant de le formuler de la façon la plus brève et la plus exacte.

Il se sentait réduit à un long et pénible travail, mot par mot, phrase par phrase, parce que, faute de savoir imaginer, inventer, il n'était que le serviteur du "démon ou de l'ange de l'Art". Seul écrivain qui, tout au long de la révolution et de la guerre civile, ne perdit pas la tête, Babel sut entraver le libre cours de sa passion, l'accumulant en lui-même, pour arriver à composer ses oeuvres avec des paroles liées par un froid calcul et animées d'un feu intérieur. Pathétique dans les sujets les plus élémentaires, moqueur avec tendresse et tendre avec amertume, il créait comme un poète sans jamais avoir composé un vers.

Chez lui, point de remplissage.

Il s'attachait à chaque phrase et la polissait, reprenant dix fois, vingt fois si nécessaire, un conte qui devenait de plus en plus bref.

Sa langue coulait en un flot lent et égal.

Il n'empêche que si ses oeuvres sont demeurées aujourd'hui, quarante ans plus tard, aussi bouleversantes qu'au moment de leur publication, un style de technicien ne suffirait pas à l'expliquer. Qu'il s'agisse des récits autobiographiques, de ceux qui racontent des histoires d'Odessa, ville où il avait passé son enfance et son adolescence, de Cavalerie Rouge, collection de contes et de brefs épisodes de la guerre civile, ou des chroniques françaises qu'il devait écrire lors de son long séjour à Paris — bref, de ce long mais unique volume de prose que Babel a composé — on n'y trouve pas une ligne indifférente. Il y va moins de ses capacités d'artisan, contrairement à ce qu'il s'appliquait à dire, que de sa vision, aussi profonde, du monde et des hommes dans leur solitude, dans leurs amours et dans leurs haines, dans la société.

On a beau citer, au hasard, une oeuvre extrêmement longue — une douzaine de pages — dédiée à Gorki : L'Histoire de mon pigeonnier, où il est question de l'examen d'admission du petit Babel au lycée et du pogrom qui lui avait succédé, causant la mort d'un pigeon écrasé contre le visage de l'enfant et l'assassinat de son grand-oncle ; on a beau relire n'importe lequel des contes les plus courts de Cavalerie Rouge dont les amours sont aussi subites que les morts, les rages aussi violentes que les amitiés, on ne peut que subir Babel sans pouvoir le juger. Comment deviner ce que Babel serait devenu plus tard, lui qui, à l'époque la plus grave du stalinisme, a été arrêté, déporté, est mort, alors qu'il n'avait pas encore 50 ans, et qui est un des plus grands écrivains de la Révolution d'Octobre ?. »

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