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Hugo, Victor - La Légende des Siècles - HORS DES TEMPS - LA TROMPETTE DU JUGEMENT

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Hugo, Victor - La Légende des Siècles - HORS DES TEMPS - LA TROMPETTE DU JUGEMENT Je vis dans la nuée un clairon monstrueux. Et ce clairon semblait, au seuil profond des cieux, Calme, attendre le souffle immense de l'archange. Ce qui jamais ne meurt, ce qui jamais ne change, L'entourait. A travers un frisson, on sentait Que ce buccin fatal, qui rêve et qui se tait, Quelque part, dans l'endroit où l'on crée, où l'on sème, Avait été forgé par quelqu'un de suprême Avec de l'équité condensée en airain. Il était là, lugubre, effroyable, serein. Il gisait sur la brume insondable qui tremble, Hors du monde, au delà de tout ce qui ressemble A la forme de quoi que ce soit. Il vivait. Il semblait un réveil songeant près d'un chevet. Oh! quelle nuit! là, rien n'a de contour ni d'âge ; Et le nuage est spectre, et le spectre est nuage. * Et c'était le clairon de l'abîme. Une voix Un jour en sortira qu'on entendra sept fois. En attendant, glacé, mais écoutant, il pense ; Couvrant le châtiment, couvrant la récompense ; Et toute l'épouvante éparse au ciel est soeur De cet impénétrable et morne avertisseur.

« « Alors un grand roi d'effrayeur Viendra pour juger le monde.

» C'est ainsi que Michel de Nostredame, dit « Nostradamus », dans un quatrain d'une de ses Centuries annonce l'arrivée sur terre de l'Etre Suprême, le Créateur, Celui qui, ayant donné à l'Homme le pouvoir de se libérer du péché originel, viendra le juger, lui et toute sa descendance. Certes, ce « Jugement dernier », annoncé par les prophètes, a fasciné les anciens, inspiré les romantiques, et effrayé les modernes.

Craint par certains, il est attendu avec anxiété par d'autres, comme la libération de leurs liens charnels et leur entrée dans ut, monde purifié. Et nombreux sont les visionnaires qui ont tenté de déchirer quelque peu la toile qui recouvre ce « mystère », au sens chrétien du terme.

Et si, comme l'a dit Rimbaud, le poète est « un iisionnaire et un voleur de feu », il était logique que Victor Hugo, poète d'entre les poètes, cherche à pénétrer la profondeur de cet abîme.

Ainsi est-il arrivé à se débarrasser de son enveloppe terrestre pour élever son âme et découvrir la clé de « ce mystère inconcevable sans lequel l'homme est inconcevable », qui avait tant intrigué Pascal, et nous la rapporter dans un langage qui traduit sa « puissance visionnaire » et son incroyable faculté « d'évocation du surnaturel ». Chef de file des romantiques dans sa jeunesse, Hugo se détache peu à peu de tous les concepts que cette « doctrine » comporte : exaltation des passions et rapprochement avec la nature.

Lui qui autrefois disait : « Tout ce qui est dans l'art est dans la nature » s'écarte de plus en plus de cette maxime pour devenir l'exile de Jersey, l'homme aigri contre « Napoléon le petit », solitaire dans sa lutte comme l'a été le « Moïse » décrit par Vigny. Comme autrefois Moïse a gravi le Sinaï pour recevoir l'enseignement de la Loi, Hugo tente de s'élever vers l'infini, vers « ce qui jamais ne meurt, ce qui jamais ne change ».

Soutenu par son esprit cartésien : « Deus est, ergo sum », il est sûr de trouver un « litre Suprême » qui gouverne et qui juge l'humanité, plutôt qu'un Dieu pascalien, refuge des âmes désespérées. Et il a raison de poursuivre son ascension « Le silence des espaces infinis » ne l'effraie guère.

Et soudain, il découvre : «Je vis». Ce passé simple qui commence le poème montre l'unicité de ce moment privilégié.

Lee poète, l'individu, « Je », ego, « voit ».

Comme Saint-Thomas, il n'a jamais cru, mais maintenant il voit.

Bien sûr, une nuée voile quelque peu ses regards, mais la nuée n'est-elle pas le symbole biblique par excellence, et cela, Hugo, « magicien du vers », le sait, et il émaille son récit de termes religieux pour nous communiquer les sensations grandioses qui l'envahissent : « nuée », « cieux », « archange », « buccin ». Et que voit-il ? Semblant sortir tout droit d'un tableau de Jérôme Bosch, un clairon, immense, monstrueux, inhumain, même.

Cette trompette, c'est celle qui donnera le signal de l'Apocalypse, ce temps qui viendra où les âmes seront pesées, les justes reconnus et les damnés déchus à jamais. Et ce clairon, comme dans le sonnet de Rimbaud, « Voyelles » : « O, clairon de l'Apocalypse », nous est présenté à l'aide de sons éclatants, comme la voyelle « o », qui évoque son pavillon tourné vers la terre, mais aussi des voyelles fermées, « on » et « eu » qui, par leur répétition, indiquent l'échelle démesurée ainsi que la puissance divine, presque maléfique de cet instrument : « ...

un clairon monstrueux. Et ce clairon semblait, au seuil profond des cieux »,... Et Hugo, par cette poésie épique, cette « chanson de geste », dans laquelle tout son art de conteur est cristallisé nous fait sentir que cet instrument intemporel a été créé par-dessus les temps et placé là « pour les siècles des siècles ». Le « calme » tout d'abord, qui l'habite, ainsi que sa position au milieu de « ce qui jamais ne meurt, ce qui jamais ne change », augmente son immuabilité.

La construction symétrique de ce vers, ainsi que le rythme régulier des alexandrins dont est composé ce poème, agissent dans le même sens.

Ce clairon, indestructible, puisque forgé en « airain », matière noble entre toutes, mais plus noble que jamais car cet alliage a été créé par condensation de l'équité, qualité divine qui rappelle son rôle de justicier, est là depuis le commencement des temps car « il se tait » dans l'endroit « où l'on crée, où l'on sème », c'est-à-dire l'atelier même du Créateur ; et il restera « hors du monde » jusqu'à la fin des temps, qu'il est chargé d'annoncer.

Et son calme « serein » effare le poète, qui connaît sa terrible mission. Soudain un rejet, procédé si cher à Hugo ; et apparaissent deux mots qui n'ont même plus le don de nous étonner : ce clairon, animal monstrueux, vit ; ou plutôt « il vivait », et cet imparfait souligne la durée incommensurable du sommeil peuplé de rêves de cette créature fantastique, sortie tout droit d'un bestiaire infernal.

Mais le poète nous ramène à de plus justes proportions avec une comparaison « terrestre » et de tous les jours : un « réveil », oui, le réveil des morts et des vivants, qui se présenteront devant le « chevet » où se tient le Créateur pour être jugés. Mais deux autres petits mots, rejetés encore hors d'un vers, amènent ce que nous attendions : un son, « une voix », plutôt, venant de cet être inanimé.

Car la monotonie de son environnement engendre l'absence de couleur : « Et le nuage est spectre, et le spectre est nuage.

» Tout est ainsi interchangeable autour de lui.

Pourtant nous attendons un signal, un écho : Hugo n'était-il pas, à l'image de cette trompette le jour de l'Apocalypse : « Un écho sonore de son temps », et le propre d'un clairon n'est-il pas de produire des sons ? De plus, l'image du Jugement divin engendre et implique la perception d'un thème sonore : Osiris pesant les âmes était précédé de joueurs de tambourins et de flûtes ; les trompettes de Jéricho, qui firent tomber les murailles étaient également d'inspiration surnaturelle. Et l'auteur souligne que l'on percevra « sept fois » ce signal, d'un ton biblique et prophétique (sept étant le chiffre sacré par excellence), employant pour cela un futur didactique. Maintenant la vision de Hugo s'estompe, et pour l'instant l'immobilité « glacée » de l'instrument demeure.

Et il est à l'image de ces âmes de Justes, évoquées par A.

Schwarz-Bart dans son livre Le Dernier des Justes, si froides (car les péchés de l'humanité se cristallisent en elles) que Dieu doit les tenir longtemps contre lui afin de les réchauffer : ce clairon « écoutant », « couvant le châtiment », qu'il promet aux démons qui sont sur terre, se noircit à leur vue bien qu'il soit, en contrepartie, « couvant la récompense ».

Et tout le firmament qui l'entoure est chargé d'épouvante qui l'escorte, car, comme dans le célèbre tableau de Goya : « Le sommeil de la raison enfante les monstres.

» Et toute cette vision de Hugo, monstrueuse, n'a-t-elle pas été provoquée par ce « sommeil de la raison » que craint Goya ? Mais il reste tout de même cette description épique, et digne de l'Iliade d'Homère, cette vision de ce dieu qui nous surveille et pour lequel chacun de nos actes compte : « L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

» Et Hugo, à l'instar de ce clairon, « impénétrable », veut jouer le rôle d'un « avertisseur » (latin : a-vertere), c'est-à-dire celui qui nous éloigne en nous tournant du côté du Bien. Mais, malgré cela, quel dommage que la maxime de La Fontaine : « La simplicité est un effet de l'art », ne soit pas sienne, car son poème est à l'image de ce qu'il évoque : claironnant, grandiose, bombinant, monstrueux même, et cette grandeur nous dépasse, nous surpasse, voire même nous écrase !. »

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